Cette fureur de vivre, prendrait sa source de sa maladie décelée dès l’âge de cinq-six ans, une cardiopathie mais incapables de la soigner. Boris Vian, grand amateur de Franz Kafka, ne tient-il pas à suivre les dires du Tchèque : « Les fleurs des rêves ne donnent pas toujours de fruits » ? Le joyeux trublion a voulu voir mûrir tous ses rêves en les concrétisant. Même s’il a toujours été éloigné de l’existentialisme, pensée chère à Jean-Paul Sartre. L’écrivain va d’ailleurs jusqu’à faire vivre le philosophe dans L’écume des jours sous l’avatar burlesque de Jean-Sol Partre.
HOMME AUX MILLE VIES
Ingénieur, Écrivain, Traducteur, Chanteur, Compositeur, Trompettiste, Critique, Directeur artistique et autres activités.
A 15 ans, je découvre « l’arrache cœur » Boris Vian est en moi…
Il a totalement influencé la suite de mon parcours de vie.
La vie, c’est comme une dent / D’abord on y a pas pensé
On s’est contenté de mâcher / Et puis ça se gâte…
Soudain ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu’on soit vraiment guéri
Il faut vous l’arracher, la vie…
10 Mars 1920 – 23 Juin 1959
Personnage solaire à l’esprit de bande, Boris Vian traverse la première moitié du XXe siècle en furie. Chaque rencontre entame un nouveau tournant dans la vie de l’artiste et enrichit son univers personnel. C’est un faiseur de mode, magnétisant les tendances afin de créer une époque. Directeur artistique, il amène Miles Davis à réaliser la musique du film « L’ascenseur pour l’échafaud » de Louis Malle, en 1957. Le jazz fait évidemment partie intégrante de la vie de Boris Vian. En tant que trompettiste ou critique, mais aussi dans ses livres. Dans L’écume des jours, le personnage de Chloé est inspiré par la partition du même nom du saxo-ténor Ben Webster. En 1959, visionnaire, Boris Vian prend la défense de Serge Gainsbourg taxé de « voir la vie en noir » est pour ainsi dire parrainé en ces termes…Va-t-on féliciter un aveugle d’être aveugle ? On le plaindra. Et va-t-on reprocher à Gainsbourg d’ouvrir les yeux ? Ce serait tout de même assez extraordinaire ! Oh je vois déjà un spécimen d’auditeur au cerveau enrobé de saindoux et au gros ventre plein d’optimisme protester que tout va bien et que cette jeunesse moderne a la haine de ce qui est beau. Ha ha ! dirai-je, compendieusement, à cet auditeur. Un gros ventre vous bouche la vue, ou des phrases toutes faites, ou un conformisme reposant.
Boris Vian tient de sa fantaisie ce style à la fois léger et percutant. A l’image du nénuphar, symbole poétique de la mort dans L’écume des jours, cette tendance à la dérision et à la désacralisation prend le contre-pied de la bienséance des années 1940-1950. Ainsi, celui qui chante J’suis snob , agrémente la Marche Turque de Mozart de « quelques cha cha cha », dans Mozart par une maxime qui pourrait être sa signature…« Faut bien vi-i-ivre ».
J’irai cracher sur vos tombes…
A l’été 1946, une rencontre, dans la file d’attente d’un cinéma des Champs-Élysées, entre l’éditeur Jean d’Halluin et le couple Vian, précipite un best-seller et un imbroglio judiciaire. Le directeur des éditions Le Scorpion est à la recherche d’un succès à promouvoir. Alors que la Série noire révèle peu à peu les thrillers américains au public français, Jean demande à Boris s’il ne connaît pas un auteur à traduire. Sur quoi l’écrivain imagine, sur un air de défi, de fabriquer un best-seller de toute pièce. En vacances à Saint-Jean-de-Monts, en Vendée, avec son épouse Michelle et leur fils Patrick, il écrit un livre en quinze jours, du 5 au 20 août. Le récit est truffé d’américanismes. Le canular doit faire croire au public que l’auteur est issu de la mode outre-Atlantique. Boris Vian écrit sous le pseudonyme de Vernon Sullivan et n’est officiellement que le traducteur de cet écrivain américain imaginaire. En novembre 1946, « J’irai cracher sur vos tombes » se révèle timidement au public, mais comme souvent, c’est la polémique qui porte l’ouvrage au plus haut des ventes. Une plainte est déposée contre Vernon Sullivan en 1947 pour incitation à la débauche des adolescents. La presse découvre que Boris Vian et Vernon Sullivan ne font qu’un. Très vite ennuyé par ce procès d’intention, et reconnaît l’affaire devant un juge d’instruction. Une série de procès débute, entre amnisties et nouvelles plaintes. En 1953, la condamnation à quinze jours de prison tombe, puis est aussitôt amnistiée, mais le scandale est immense alimenté par deux nouvelles sorties littéraires sous le nom de Sullivan (Les morts ont tous la même peau, et On tuera tous les affreux). La parution de « L’écume des jours », dans le même temps, en mars 1947, se chiffre dérisoirement à une centaine d’exemplaires…Ses mésaventures avec son livre se poursuivent, puisqu’il exprime son désaccord profond lors de l’adaptation de l’œuvre au cinéma.
Malheureuse ironie du sort, Boris Vian succombe à une crise cardiaque qui le surprend dès les premiers instants de l’avant-première au cinéma Marbeuf, le 23 juin 1959. Boris Vian, qui chantait le « Cinématographe » laisse le rideau tomber et déserte trop vite, à 39 ans, son Saint-Germain des Prés et la rive gauche.