Que du bonheur ?

A l’image de ce qui se passe dans l’intime d’une consultation de psychothérapie, la caméra nous fait pénétrer dans l’univers d’êtres qui vivent sous nos yeux des situations de vie ordinaire ou de crise. Chacun de nous, au travers d’un film, peut être renvoyé à son vécu, à son histoire, à ses émotions, mais aussi à des questions ou problématiques de notre société. Le rapport à soi, le rapport aux autres et le rapport au monde.

 

La psychothérapie fait son cinéma. A travers cette manifestation, elle souhaite faire découvrir à un plus large public le monde de la psychothérapie, les différentes approches et le métier de psychopraticien. Le thème de cette première édition est « la traversée du temps ». Durant 3 jours, les participants vont traverser les différents passages de vie à travers plusieurs longs métrages et réfléchir autour des débats qui suivront sur l’enfance, le lien précoce à la mère, la parentalité, la problématique de l’image de soi pour l’adolescent, la crise du sujet adulte, la sexualité et le vieillissement, le deuil et les deuils.

 

 

 

 

Il paraît qu’Un heureux événement est un film féministe. Féministe ? Que nous dit-on…Que la maternité est un supplice. Barbara, juste au sommet de la crête qui sépare l’innocence de sa jeunesse et la désillusion de l’âge adulte, caracole, bouillonne de fraîcheur, tombe amoureuse, et se jette avec insouciance dans une grossesse, prise par le feu de la passion pour son benêt de compagnon. Les choses se gâtent bien vite…étape après étape, elle vit chaque pas de plus comme une souffrance, et pire, comme une soustraction. Ce bébé qui grandit en elle, il lui semble qu’il est en train de la dévorer, de la diminuer. Il lui prend sa féminité, sa libido, il la domine, il lui ordonne de manger, de dormir, ou au contraire de rester éveillée. Dans le même temps, comme par hasard, elle n’aurait besoin de ne s’occuper que d’elle, de sa thèse de philo, accomplissement de son indépendance, elle la working girl. L’interrogation originelle d’Un heureux événement est celle-ci…Si être enceinte, puis mère est une torture, pourquoi personne ne le dit ? Entendez…est-ce un secret bien gardé par la bien-pensance androcrate, pour ne pas attaquer l’association d’idées « maternité / accomplissement de la femme » ?

 

 

 

 

Mais le truc est un peu voyant. Bezançon à moins qu’il s’agisse d’Éliette Abécassis, autrice du roman autobiographique dont est adapté le film prend son panel de personnages comme une boîte à outils. À la confluence de tous les engrenages mis en place, une Ève moderne, une femme libre, désirable, parfaitement heureuse, bientôt condamnée. Tout ce qui se trouve autour d’elle ne devient alors que l’extension de son trauma, comme si la société déformée par l’égoïsme de sa dépression n’était peuplée que de tous les individus parfaitement haïssables qu’elle aura besoin d’accuser. À ma gauche, un père absent, désolidarisé de la grossesse comme de la paternité. À ma droite, un personnel social et médical sourd à la détresse de Barbara, qui refuse de voir sa féminité fondre comme neige au soleil, et à son inquiétude, elle qui « ne sait pas si bien s’occuper d’elle-même, comment pourra-t-elle s’occuper de quelqu’un d’autre ». Ce qui fait d’Un heureux événement un film relativement agaçant, c’est qu’il se saisit d’une période de transition faite et c’est bien connu, n’en déplaise à Abécassis,  d’un mélange de souffrance et de bonheur pratiquement éludé par le film, où Barbara n’est, au mieux, qu’intriguée par sa progéniture , et qu’il en fait le simple itinéraire de la femme vers son anéantissement. Il se refuse à la complexité d’une métamorphose, à laquelle fait également face l’homme, bien que de façon évidemment moins physique, et la limite à une certaine victimisation. Bien sûr, il faut se munir de pincettes et de gants pour exprimer sa méfiance vis à vis de cette forme négligée et déviante de féminisme, mais l’universalité du cas d’Éliette/Barbara n’est pas aussi acquise que le film voudrait nous le faire croire. On flaire à un moment une bonne idée, dans laquelle le film ne s’engouffre hélas pas…Le couple fait l’acquisition d’une caméra, pour filmer le nourrisson, et envoyer des images à un grand-père absent. En même temps qu’elle filme, Barbara laisse éclater sa colère, et en fait même un peu le tri…Soudain, se mettre en scène, voilà la clef pour guérir le réel. Jaillissement anecdotique d’un procédé ingénieux.

 

Nous voilà donc face à ce féminisme un peu racoleur, un peu bateau, et limité à l’accomplissement par la sexualité. À ce titre, Bezançon fait preuve d’une insistance dans le mauvais goût qui vérifie volontiers l’impression d’immaturité déjà dégagée par le personnage principal. Louise Bourgoin montre les fesses, les seins, gémit, jouit, parle comme un camionneur, joue l’éléphant dans le magasin de porcelaine comme pour asseoir de la plus maladroite des façons un statut « choc » au film, qui ne trompe personne. Pour le reste, les dialogues, absolument navrants, figent toute les situations soit dans un humour chiqué, récité, soit dans la philosophie de comptoir, mais jamais dans une impression de réalité. Bezançon enchaîne les idées anecdotiques, et fait diversion sur toute la durée de la grossesse avec ce qu’il a de plus putassier. Brouiller les pistes, entre une supposée consistance socio-analytique et un humour bêtement grossier, pour se camoufler derrière cette frontière floue qui sépare le premier degré du second, et à l’arrivée se prétendre intelligemment transgressif…Voilà, semble-t-il, la recette qui fait d’Un heureux événement un des films les plus arrivistes de cette année.

 

par Théo Ribeton