Un puissant film d’amour, un mélodrame qui évoque avec subtilité la vieillesse, l’approche de la mort et l’audace parfois nécessaire à l’écoute de son cœur. Il est le fruit d’une envie de Sólveig Anspach réalisatrice, de L’Effet aquatique de mettre en scène un amour qu’a vécu sa mère au crépuscule de sa vie avec un médecin plus jeune. La cinéaste est décédée avant de pouvoir mener à terme ce projet. Sa co-scénariste et son producteur se sont alors tournés vers Carine Tardieu pour prendre la suite. Hésitante au vu de la tâche qui lui incombait, la brillante réalisatrice de Otez-moi d’un doute et Du vent dans mes mollets à accepter de donner vie à la passion entre Shauna, 70 ans, et Pierre, 45 ans, sous les traits de Fanny Ardant et Melvil Poupaud. Elle nous a parlé de la genèse du film, de sa collaboration avec la femme d’à côté et de ses envies profondes derrière cette romance.
Réalisatrice & Scénariste française née en 1973, CARINE TARDIEU se distingue grâce à des œuvres traitant de l’adolescence. Après des études de psychologie elle intègre une école privée d’audiovisuel à Paris et devient scénariste notamment pour la série télé Famille d’Accueil en 2001 et 2002. Après le petit écran, elle se lance dans la réalisation en 2002 et signe un premier court-métrage baptisé Les Baisers des autres qu’elle finit par adapter en livre. Un an plus tard un autre court avec L’Aîné de mes soucis inspiré de son adolescence. 2007 Carine Tardieu réalise son premier long métrage La Tête à Maman avec Karin Viard & Isabelle Carré & Kad Merad. 2012-Du vent dans mes mollets avec Agnès Jaoui&Denis Podalydès. 2017-Otez moi d’un doute avec Cécile de France & François Damiens. 2021-Les jeunes Amants Fanny Ardant & Melvil Poupaud est son 4ème film. Elle est également auteur de livres pour enfants.
ENTRETIEN AVEC CARINE TARDIEU
Pourquoi avez-vous accepté ce projet, entamé par Sólveig Anspach ? J’avais un peu suivi toute cette histoire avec Sólveig, qui était une amie, et j’avais déjà prévu de faire un film avec sa co-scénariste, Agnès de Sacy. Quand le producteur m’a proposé ce projet, j’ai accepté de le lire, tout en sachant que je n’avais jamais dit « oui » à une sollicitation. Mes films sont toujours le résultat d’une recherche personnelle. J’ai été extrêmement bouleversée par le scénario, mais pas forcément pour les bonnes raisons. Ce qu’avait commencé Sólveig était extrêmement sombre. Elle se savait mourante et je crois qu’à travers cette histoire, elle racontait quelque chose de sa propre fin. Moi j’allais être maman à ce moment-là, j’étais du côté de la vie. L’histoire était trop lugubre pour moi. Nous avons convenu que je pouvais me l’approprier et à force de discussions, j’ai dit « oui » à deux conditions…Que l’on puisse retravailler le projet de fond en comble et que la fille de Sólveig me donne son blanc seing, ce qu’elle a fait.
Sólveig Anspach a souhaité que le film soit réalisé par une femme. Pourquoi cela faisait-il sens ? Mon avis là-dessus est plutôt du côté de la réflexion de Shauna dans le film, quand elle dit « je ne suis pas une femme architecte, je suis architecte ». D’après ce que j’ai compris, Sólveig pensait qu’il y avait une manière singulière chez les femmes de raconter l’intimité féminine. Elle pressentait que cette histoire arrivée à sa mère, donc avec déjà quelque chose de l’ordre de la transmission d’une femme à une autre, devait encore passer par une femme. Comme une sorte de passation. Quand je vois un film de Claude Sautet, qui filmait tellement bien les femmes, ou de Pedro Almodóvar, je me demande ce que c’est, au fond, un film de femmes. Ces questions sont compliquées.
Qu’avez-vous voulu transmettre, vous, à travers le personnage de Shauna ? On a fait beaucoup de modifications parce qu’elle était à l’origine un peu plus sèche, moins timide. Nous avons retravaillé tous les personnages. Celui de la fille existait, mais n’était pas du tout construit ainsi. On a inventé Georges, l’ami, on a fait prendre de l’importance à l’épouse de Pierre. Je pense avoir apporté une dimension de fragilité, moins d’assurance, plus de peurs à Shauna.
Pourquoi vous êtes-vous tournée vers Fanny Ardant pour l’incarner ? Comme beaucoup, l’image que j’avais de Fanny, c’était la femme flamboyante, forte, bravache…Quand je l’ai rencontrée, je ne lui ai pas proposé le rôle complètement. Je voulais la sentir, faire connaissance avec elle. Je lui ai dit que si le film lui faisait envie, je ne voulais pas faire semblant de filmer une femme âgée. L’idée n’était pas de l’enlaidir, mais qu’elle ait l’air d’avoir l’âge qu’elle a. Je voulais filmer ses rides, ses mains veinées, sans quoi le film n’aurait eu aucun sens. Fanny m’a répondu…La vieillesse je la vis et je m’en fiche et la mort, je l’attends. De ce point de vue, elle n’avait pas peur, ce qui m’a rassurée.
Comment avez-vous travaillé ensemble pour filmer l’amour et la vieillesse ? A l’origine, il y avait des scènes d’amour plus crues car Sólveig avait très envie de filmer le corps d’une femme âgée. Moi qui suis très pudique, cela ne me mettait pas forcément à l’aise. Il se trouve que Fanny ne voulait pas se montrer nue. Elle ne l’a jamais fait de sa vie. Cette pudeur m’a obligée à me poser des questions pour savoir comment j’allais filmer la nudité sans la filmer. C’est là que j’ai eu l’idée d’une scène avec des femmes d’un certain âge, nues dans un vestiaire, pour voir comme elles peuvent être belles quand elles sont heureuses et libres, quand elle ne sont soumises à aucun jugement. Je me suis demandé comment raconter le corps d’une femme et j’ai réalisé que ça pouvait passer par son visage. Ingmar Bergman dit filmer les visages comme les paysages et c’est vrai qu’avec les rides, il y a de ça. L’histoire se grave sur le visage. La pudeur et l’inquiétude de Fanny, ne serait-ce que d’embrasser un homme, m’ont servie. J’ai essayé de la « dé-fanny-ardantiser » au maximum, tout en bénéficiant de son talent, de sa générosité et de la manière qu’elle a de se livrer complètement sur un plateau. Une fois les choses posées, elle m’a dit « vous pouvez faire de moi ce que vous voulez » et c’était vrai.
A travers son personnage, le film dit beaucoup des interdits que les femmes s’imposent souvent à elles-mêmes…Même si certains hommes sont aussi pudiques et qu’il ne faut pas faire de généralités, il y a une injonction beaucoup plus forte sur le corps des femmes, peu importe l’âge que l’on a. Et puis qu’est-ce que la norme ? On sait que même une mannequin est complexée. Aucune femme n’est jamais satisfaite de son corps, parce qu’on est sans arrêt épiées, regardées…La société agit comme un miroir déformant. On s’en rend compte quand on regarde nos amies, on les trouve belles, quelles qu’elles soient. Quand on est amoureux, on oublie la société et c’est d’ailleurs marrant de voir que lorsqu’on ne l’est plus, on se demande comment on a pu aimer cette personne. L’amour devrait être le prisme par lequel on se regarde soi-même et les autres. Si l’on s’aimait davantage, on serait plus cléments.
Vous abordez la vieillesse, la mort, la maladie, la sexualité, l’adultère…qui sont des tabous. Vous êtes-vous censurée à certains endroits ? Quand j’écris ou que je réalise, je ne me pose pas la question de ce que pense la société. Je suis dans mon histoire, dans mes personnages et j’essaie d’être au plus juste. Ce sont leurs sentiments qui guident mon écriture. Tout ce qui m’importe, c’est d’y croire, d’être avec eux en permanence, de ne jamais les perdre. Je ne me pose pas la question du tabou. Pour moi, il n’y a pas de transgression dans ce film. La transgression, c’est l’inceste, la pédophilie, par exemple. Tout le reste, non.
Quel est le message que vous souhaitez délivrer avec votre film ? L’idée qu’il faut faire attention à ne pas passer à côté de sa vie. Le confort, c’est dangereux. Il faut prendre le risque. Tomber amoureux, c’est une chose, mais se laisser emporter par une histoire d’amour demande un certain courage. On prend le risque de souffrir, d’avoir peur, que cela s’arrête. C’est beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de peines. Les Jeunes Amants est un film sur le courage de vivre.
UN HYMNE A LA LIBERTÉ.
En dépit d’un sujet des plus casse-gueule, Carine Tardieu parvient à dresser un récit sensible et intelligent d’un couple atypique où la norme, le droit à l’amour et le statut de la femme sont brillamment interrogés.
Shauna est une femme âgée de 70 ans. Pourtant, elle demeure totalement élégante, comme si la vie n’avait pas abimé son corps et sa grâce. En réalité, Shauna est une femme libre, attentive à soi et aux autres, qui fait de son existence un modèle d’indépendance et de générosité. Cette femme, c’est Fanny Ardant. La comédienne prouve encore une fois sa capacité à faire de sa voix, de sa féminité, et en même temps des années qui passent, un florilège de beauté et d’élégance. Personne ne sera indifférent à ces moments magnifiques où elle lit un ouvrage d’enfants ou une page de littérature, offrant au spectateur la démonstration de son incommensurable talent à théâtraliser le réel. Car Les jeunes amants n’est surtout pas un film sur l’amour senior. C’est d’abord un hymne à la liberté, un combat contre le jugement facile et les préjugés, et un rappel des plus naturels qu’il n’y a pas d’âge pour aimer. Le long-métrage dissèque le discrédit social qui pèse sur les femmes, là où personne n’ose condamner les hommes d’une certaine maturité qui quittent leur épouse pour des jeunes femmes. Carine Tardieu crée un film militant qui s’indigne du regard normatif, des jugements à l’emporte-pièce et de l’empêchement d’amour auquel nombre de gens se soumettent pour éviter les regards malveillants. En fait, ce récit aurait pu être celui d’un amant qui se découvre homosexuel, ou d’un autre qui tombe amoureux d’une personne en situation de handicap : bref, autant de situations qui ne devraient générer aucune discrimination.
La force et le courage du film s’illustrent dans deux références particulièrement marquantes. Il s’agit pour la première d’un hommage non dissimulé à la comédienne Annie Girardot, dont on connaît les conditions tragiques de la disparition. La réalisatrice insère un extrait du film de Lelouch Un homme qui me plaît. L’actrice est désopilante de grâce et de tendresse, racontant déjà sa fin de vie et la difficulté à tourner une page d’amour. Le deuxième hommage concerne la réalisatrice Sólveig Anspach pour laquelle Les jeunes amants aurait été un rêve de mise en scène, avant d’être emportée par un cancer. La maladie d’ailleurs est très présente dans le récit, qu’il s’agisse du métier de Pierre, oncologue à Lyon, ou des difficultés de santé que traverse Shauna. Mais Carine Tardieu ne cède jamais au misérabilisme. Elle met en scène un couple radieux, que la musique de Bach ou de Chopin réécrite pour la guitare ou interprétée au piano, transcende. La cinéaste réalise un grand film sur l’amour qui donne la chance à un couple de s’aimer au milieu d’une période contemporaine qui s’extasie sur la jeunesse et l’immortalité.
INFLUENCES…Carine Tardieu et le directeur de la photographie Elin Kirschfink avaient plusieurs références en tête en ce qui concerne l’aspect visuel du film…La Fille de Ryan de David Lean, Trois couleurs – Bleu de Krzysztof Kieslowski, Persona et Sarabande d’Ingmar Bergman et Un homme qui me plaît de Claude Lelouch, qui traite de l’attente amoureuse…Nous avons d’ailleurs, au montage, inclus un extrait du film dans lequel Annie Girardot attend l’homme qu’elle aime à l’aéroport.
DÉCORS & COSTUMES…Carine Tardieu voulait un appartement débordant de photos et d’objets accumulés qui témoignent de sa longue vie...Pierre et sa famille sont quant à eux perchés dans une tour, comme inconsciemment emprisonnés. Isabelle Pannetier, la chef costumière a aidé à trouver comment faire de la « grande Fanny Ardant » une femme au fond assez réservée, voire timide, ou encore de Pierre un homme qui semble s’être oublié / perdu et ne prend pas soin de lui.
MUSIQUE…Le compositeur Eric Slabiak collabore avec Carine Tardieu pour la troisième fois après Du Vent dans mes mollets et Ôtez-moi d’un doute. Tout au long de l’écriture, la réalisatrice lui a donné les différentes versions du scénario dans lequel étaient déjà évoquées certaines œuvres préexistantes conservées au montage…L’une des Variations Goldberg de Bach, un Nocturne de Chopin, ainsi que les chansons Le premier bonheur de jour de Françoise Hardy et Lady of a certain age de The Divine Comedy…Toutes ces musiques ont en commun cette mélancolie qui teinte le film d’une certaine douceur malgré la rudesse des évènements auxquels sont confrontés ses personnages.
UNE AMITIÉ FORTE ET FIDÈLE.
par Guillemette Odicino
Sólveig Anspach tenait à ce film inspiré du dernier amour de sa mère. Fauchée par un cancer, Sólveig Anspach n’a pu le réaliser. Ses amis lui avaient promis de finir Les Jeunes Amants pour elle…C’est l’histoire d’une promesse tenue. Une histoire de cœur collective, inscrite au générique des Jeunes Amants, de Carine Tardieu, avec les bouleversants et fiévreux Fanny Ardant et Melvil Poupaud dans les rôles principaux. Tout commence trois ans avant la disparition de la réalisatrice de Queen of Montreuil et L’Effet aquatique, à 54 ans, des suites de la récidive de ce cancer qu’elle racontait dans Haut les cœurs !
Automne 2012, Sólveig Anspach dîne chez des amis avec le producteur Patrick Sobelman. À l’exception de Lulu femme nue, celui-ci a produit tous ses films En 1999, Hauts les cœurs ! était son premier long métrage et le mien aussi, cela a créé entre nous un lien à la vie, à la mort. » Au cours du repas, Sólveig raconte à la tablée que Högna, sa mère de 79 ans, vient de lui annoncer son amour, réciproque, pour un homme de trente ans de moins qu’elle, marié et père de famille. Högna avait très peur de la réaction de sa fille. Sólveig, au contraire, trouve cela formidable ! Patrick Sobelman se souvient du regard échangé, à ce moment précis, avec sa cinéaste-amie et de leur conviction immédiate que cette romance tardive méritait bien un film. Même si elle écrit depuis des années, dans une parfaite complicité, avec Jean-Luc Gaget, Sólveig souhaite, cette fois, collaborer avec une femme, et son producteur lui soumet le nom d’Agnès de Sacy, dont la plume délicate est attachée aux filmographies de Pascal Bonitzer et Valeria Bruni-Tedeschi. L’intéressée accepte de lire deux pages de synopsis. Bouleversée, elle prend tout de même peur, car elle sait la réalisatrice malade…Je me disais elle va mourir, c’est une folie, Sólveig m’a donné du temps pour réfléchir. Une femme dont on dit qu’elle va mourir me dit qu’elle n’est pas pressée ! Si je refusais, j’allais le regretter toute ma vie. J’ai fini par accepter, et dès lors, le spectre de sa disparition s’est évanoui, grâce à sa personnalité extraordinaire, notre travail n’a été qu’un élan de vie et de désir de cinéma. Pratiquement jusqu’au bout, j’étais persuadée qu’elle pourrait réaliser le film, même de son canapé, même fatiguée…
Chaque lundi en début d’après-midi elles travaillent à deux voix et deux stylos, l’histoire d’amour entre Högna et Nicolas se mue en fiction de cinéma, où ils deviennent Shauna et Pierre, et où l’Islande maternelle se transforme en Irlande. Un lundi au soleil de Sólveig, la combattante aux cheveux très ras et au sourire inentamé, sauf quand elle se voyait dans l’obligation d’annuler par SMS leur après-midi de création à cause d’une séance de chimiothérapie ou une énième opération. En mai 2015, la réalisatrice part tourner la deuxième partie de L’Effet aquatique en Islande, et en revient, un mois plus tard, très fatiguée, pour finir par être hospitalisée le 10 juillet.
Elle a quitté l’hôpital en ambulance vers la Drôme pour respirer une dernière fois les lavandes autour de la maison de sa grand-mère.
L’irréductible optimiste avait veillé à la transmission, faisant promettre à son producteur, puis à sa scénariste, sur son lit d’hôpital, que si elle ne pouvait pas « aller au bout », le film existerait et serait mis en scène par une femme. Patrick Sobelman pense à Carine Tardieu…Nous nous étions rencontrées deux ans avant sa mort, au festival de Rome, et avions passé trois jours très joyeux à la villa Médicis. Elle donnait le sentiment d’être un roc immortel. Le hasard, aussi, a voulu qu’un jour, alors que je travaillais dans un bistrot, Sólveig, Agnès De Sacy et Patrick Sobelman se trouvent dans le café d’en face. J’étais allée les saluer, sans savoir que c’était leur première réunion de travail autour des Jeunes Amants. Aujourd’hui, le film existe, vivant, magnifique, mais ni Patrick Sobelman, ni Agnès de Sacy, ni Carine Tardieu n’osent prétendre que « Sólveig serait contente ». Ils le souhaitent ardemment et chérissent cet enfant de cinéma « en garde partagée », le fruit, lumineux et grave, d’une promesse. Ils ont raison, car si François Truffaut pensait que le cinéma était plus beau que la vie, Les Jeunes Amants prouve qu’il est plus fort que la mort.
Sólveig Anspach par Léo Moser
La cinéaste franco-islandaise s’est éteinte dans la nuit de vendredi à samedi des suites d’une récidive de cancer. Elle avait 54 ans. Révélée par son film Haut les cœurs ! qui racontait justement, de manière semi-autobiographique, le combat ordinaire et inlassable d’une femme atteinte d’un cancer du sein, Sólveig Anspach laisse derrière elle une filmographie éclectique, mêlant fictions et documentaires, et distillant en même temps qu’un regard singulier sur le monde avec Made in the USA & Bistrik, & Sarajevo une appétence pour un humour noir et décalé Haut les cœurs ! & Back Soon.
Diplômée de la FEMIS en 1989, elle entame sa carrière en réalisant plusieurs documentaires inspirés. Fascinée par son Islande natale, elle signe en 1990 Vestmannaeyar, documentaire sur la petite île qui l’a vu naître avant d’être ravagée par une éruption volcanique. Dans Reykjavík, des elfes dans la ville, elle donne à voir le quotidien de jeunes islandais partageant joies et peines dans cette capitale aux allures de bout du monde, au plus près de la calotte polaire. Avec Que personne ne bouge, elle s’intéresse à l’affaire du « gang des amazones », cinq mères de famille du Vaucluse, à la fin des années 80, reconverties en braqueuses de banque pour faire face à d’importantes difficultés financières. En plus de tirer le portrait décalé et jubilatoire de ces cinq mamans braqueuses tout droit sorties d’une comédie de Woody Allen, Anspash livre un documentaire à forte teneur sociale, témoin de la sombre réalité que traversent les français les plus démunis.
Mais le coup d’éclat viendra l’année suivante avec Haut les cœurs ! première fiction de la cinéaste. Après avoir découvert qu’elle était atteinte d’un cancer du sein, Sólveig Anspach livre un film aux contours auto-fictionnels, qui raconte le combat d’une femme face à la maladie. Son humour mordant arrache au film sa potentielle pesanteur et permet de conférer à une intrigue censément noire et préoccupée de beaux moments d’évanescence…Je voulais raconter la dureté de cette expérience, mais il ne fallait pas que ce soit dur au point qu’il n’y ait aucun plaisir dans le film, que ce soit si insupportable aux gens qu’ils auraient quitté la salle au bout de cinq minutes. Il y a d’ailleurs eu un moment dans l’écriture où je suis plus partie vers la comédie moins de scènes d’hosto, comme si je n’osais pas vraiment affronter cette histoire. J’avais peur qu’il y ait une confusion, que les gens se disent “Oh là là, la pauvre, elle a traversé tout ça .En amenant cet espace d’humour, Simon évite l’apitoiement. Moi, je trouve qu’on peut rire de tout, c’est même une arme formidable. Cet humour était indispensable, sinon c’était foutu. Ensuite Sólveig Anspach oscille entre fictions et documentaires livrant des œuvres tantôt fascinantes comme Made in the USA, en 2001, témoignage saisissant sur la peine de mort aux Etats-Unis tantôt moins percutantes Lulu, femme nue, long-métrage sur la mid-life crisis d’une femme en fugue. Avant que la récidive de son cancer, qu’elle avait si justement mis en scène, ne l’emporte, elle travaillait sur le montage de L’Effet aquatique, ultime pièce d’un triptyque déjà constituée de Back Soon (2007) et Queen of Montreuil (2011) dans lequel on retrouvera l’incandescente Didda Jonsdotti, actrice islandaise qu’elle avait révélée. Le film sortira de manière posthume en 2016, et clôturera une filmographie aussi riche que variée.