01-Plus fort que l’amour !

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères.

Voltaire



Une mère absente, une forêt, la survie et une fraternité salvatrice. Frères du réalisateur girondin Olivier Casas est un film inspiré d’une histoire vraie. Yvan Attal et Mathieu Kassovitz jouent deux frangins, Michel et Patrick, unis par le secret d’une enfance passée dans un bois de Charente-Maritime. C’est l’histoire d’un amour fraternel, véritablement fusionnel, né dans une douleur qui l’a rendu d’une force indestructible. Interprétée sans affèteries mais avec beaucoup de pudeur, elle est l’image même d’un monde qui venait de s’écrouler mais aussi d’une humanité riche d’optimisme et confiante dans sa force de résilience.

 

 

 

 

 

 

Olivier CASAS

1976 – NAISSANCE A BORDEAUX

 

PARCOURS CINEMA CLASSIQUE

École nationale supérieure Louis-Lumière (« Réalisation » 2004)

 

2003-2014 / 5 COURTS – LE 5EME BABYPHONE DEVIENT EN 2017 UN LONG

2018-2023 REALISATION  PUB – INSTITUTIONNEL – TELEVISION 

 

 

UNE RENCONTRE COMME DECLENCHEUR – MICHEL DE ROBERT

 

 

 

 

PAROLES DE REALISATEUR…

 

 

Michel de Robert est un homme avec « une stature de notable ». Sauf que son image a changé lors d’un weekend chez des amis en commun. Je l’ai vu tailler un bout de bois avec un couteau comme l’aurait fait un indien Cherokee. Ca m’a interpellé, et il m’a dit qu’il avait eu une enfance un peu particulière. Passé la sidération de découvrir l’histoire de Michel et Patrice, et leur survie, j’ai été très vite happé par la façon dont Michel parlait de son frère Patrice. Et de ce lien, cet amour infini qui les unira toujours. C’est ce qui m’a porté et donné envie de faire ce film. J’avais un fils de 3 ans et je venais de découvrir un amour infini. Je savais pas que je pouvais autant aimer un être que ça.

 

 

 

Ils se sont aimés comme personne, peut-être encore plus qu’un parent aime son enfant, tellement ce qu’ils ont vécu a été fusionnel et intense. Il a 78 ans, mais quand il en parle, on a l’impression que c’était hier. Avec Michel, petit à petit, on a tiré un fil, puis un autre et on a commencé à construire une histoire qui est la nôtre aujourd’hui. Il est le frère que j’ai pas eu, je suis fils unique. C’est un cadeau bien au-delà du film. Il m’a dit qu’il ne viendrait pas sur le tournage,…Trop dur, ça va remuer trop de choses. On a fait une projection juste lui et moi. Je lui ai projeté le film de sa vie, et c’était un moment très fort pour nous deux.



L’essentiel, c’est vraiment l’incarnation des personnages. J’avais les bons acteurs que ce soit les enfants ou les adultes tout ce qu’il y avait autour devenait secondaire. Je me suis même efforcé, notamment sur le passé, que ce soit le plus secondaire possible. C’est très compliqué dans le cinéma français de traiter de la période d’après-guerre sans que ça sente le décor du cinéma, ni la reconstitution. L’avantage dans ce film, c’est que les arbres des années 1950 et ceux d’aujourd’hui n’ont pas trop changé.



Quand on s’imagine deux enfants abandonnés qui passent sept ans en forêt, le réflexe, c’est « les pauvres ». Finalement, non. Ils ont eu des problèmes avant et après, certes, il y a eu des difficultés pendant. Mais qu’est-ce qu’ils ont été bien et heureux ! Ils ont touché un niveau de bonheur et un nirvana que peu d’êtres ont eu l’occasion d’appréhender dans leur existence. C’est là que je trouve l’histoire sublime car au milieu de toutes ces complexités, une lumière folle se dégage.

 

 

 

 

Les enfants c’était un des gros enjeux du film. Vu que l’enfance s’étale sur 7 ans, et qu’entre 5 et 10 ans, les enfants changent. Il fallait deux duos d’acteurs pour les incarner et trouver 4 enfants qui soient capables de jouer, avec des contraintes de ressemblance physiques. Le casting terminé, il y a eu plusieurs semaines de de lecture du scénario sans qu’ils rentrent dans des schémas de répétition ni que des mécaniques s’installent. Je voulais vraiment qu’ils vivent le film en même temps qu’ils allaient le jouer. Le jour où ils ont su qu’ils allaient rencontrer Michel, c’est comme si Batman allait débarquer ! Quand il est arrivé, ils étaient fascinés. C’est comme un super-héros.

 

 

 

J’ai essayé au maximum de ne pas dater le film. Même s’il y a quelque chose de très important et d’extrêmement daté mais essentiel dans le film…À l’époque, il pouvait y avoir des enfants qui disparaissaient, ce n’était pas vraiment un sujet. Pour le coup, ça fait écho à tous les enfants qui ont été abandonnés après la guerre, qui ont eu des expériences complètement chaotiques. Même dix ans après la guerre, ça n’était pas un sujet de préoccupation. Aujourd’hui heureusement, on a quand même une conscience de l’enfance qui a vraiment beaucoup évolué.

 

Comment ça se fait qu’on les ait pas retrouvés ? Et bien, parce qu’on ne les cherchait pas…

 

 

 

 

 

 

 

 

PAROLES DE MICHEL DE ROBERT

On a commencé par la fin…Par le Meilleur !

 

Je suis très adroit de mes mains, je dessine très bien, je répare n’importe quoi. Tout ça vient de mon enfance. Olivier a été persuasif en me posant questions après questions dans cette maison en pleine nature. Il m’a rappelé 3 ou 4 jours après pour que je raconte l’histoire vécue avec mon frère. Celle d’enfants abandonnés juste après la guerre et il a voulu très vite en faire un film. C’est une petite histoire qui dure depuis 9 ans !

 

 

On est deux garçons de pères différents aux caractères différents. Patrice est mon aîné donc forcément il m’a protégé quand on s’est enfuis et retrouvés en forêt, en liberté totale, dans des conditions de vie très difficiles parce qu’il fallait se nourrir, s’abriter, fabriquer des vêtements, se débrouiller de ce que nous donnait la nature. On vivait sans contrainte, à courir dans les champs, heureux, avec le soleil ou sous la pluie. Et même si le froid nous empêchait de dormir on s’emboîtait l’un dans l’autre pour se réchauffer. Et puis on était dans la campagne française où c’était simple de se nourrir ! Il y avait des cerisiers, des pêchers, des pommiers, des pommes de terre, des fermiers qui dorment la nuit dont on pouvait visiter les poulaillers ! Et on a rapidement su poser des collets, attraper des lapins qui pullulaient alors dans les champs.

 

Mais on s’est certainement très mal nourris, c’est pour cela que nous avons développé des carences, et surtout mon frère parce que lorsqu’il ramenait quelque chose à manger, il le donnait à son petit frère. Une de ces carences l’a empêché d’avoir des enfants et cela a beaucoup compté dans son acte final parce qu’il aurait donné ce qu’il n’a pas eu, il aurait donné l’amour à un enfant qu’il n’avait pas reçu lui. Et, malheureusement, après trois mariages et beaucoup d’essais il a fini par admettre ce que disaient les médecins sur sa semence trop faible en spermatozoïdes qui l’ont empêché d’avoir des enfants. Et moi j’ai eu le même problème mais heureusement j’ai réussi à avoir un fils, j’ai rencontré ma première femme à 17-18 ans et j’ai eu un enfant à 27 ans.

 

Beaucoup étaient dans notre cas et on en a rencontré et plus âgés que nous, 14-15 ans, qui travaillaient déjà au gré de leur périple qui ne les menait nulle part puisqu’ils ne savaient pas où aller. Un jour on est allés à La Rochelle, on pêchait des anguilles dans le port et des gosses traînaient dans la ville qui n’avaient pas de parents. On a échangé sur nos vies, certains vivaient dans un grenier avec leur sœur, ça paraît incroyable aujourd’hui !

 

Mon frère c’est mon père, ma mère, il est tout pour moi. Jusqu’au jour où il décide d’arrêter de vivre, et pour moi c’est une autre vie qui a débuté. Et je n’ai pu raconter ça qu’une fois qu’il est parti parce que je pense que c’est un peu comme un viol. Chaque fois qu’un enfant a quelque chose qui n’est pas comme les autres c’est un secret qu’il enfouit au fond de lui-même et ça ne ressort pas facilement. Mon frère est mort en 1993, il avait 49 ans, il s’est suicidé avec toute sa conscience, en ayant tout préparé. Olivier a bien transcrit ça dans le film. Mon frère ne pouvait plus vivre, cette vie ne l’intéressait pas, elle ne représentait rien pour lui parce qu’il n’avait jamais été aimé, parce qu’il n’avait jamais réellement trouvé quelqu’un qui l’aimait.

 

Ça paraît incroyable, mais il faut comprendre qu’on n’intéresse personne. On n’existe pour personne. Personne ne nous a trouvés, parce que personne ne nous a cherchés, c’est surtout ça…Très vite, on reporte l’amour qu’on éprouve pour notre notre mère sur l’autre. On comprend qu’on n’est rien pour personne, mais tout l’un pour l’autre. On ne voyait pas l’intérêt d’en parler aux autres. C’était notre histoire. La thérapie se faisait entre nous deux. Il me livrait tous ses souvenirs et accueillait les miens. On avait besoin de se raconter. On partageait notre mémoire, on riait ensemble en se rappelant des moments magiques de liberté. On était tellement heureux quand on montait dans les arbres, jouait dans la rivière, courait dans les blés au printemps.

 

À cette époque, dans toutes les maisons de campagne alentours, il y a des poulaillers et des potagers. Et puis, on a rapidement appris à voir tout ce que la nature peut donner. Avec un roncier, il suffit de retirer des ronces les épines, de les torsader, et ça fait une ficelle incroyablement solide. Et des mûres à manger ! C’est sûr que de temps à autre, on crache et c’est mauvais, mais on apprend à connaître tout ça.

 

Ce qui me revient le plus vite à l’esprit, l’image la plus tenace ce sont les nuits froides, à dormir dans les bras l’un de l’autre… »sur le fil rouge, entre la vie et la mort…On fait plus que donner la chaleur de son corps à son frère, on le serre contre soi pour qu’il vive encore. Il faut sentir cette différence.« 

 

 

 

 

 

Le retour à la vie « normale » fut extrêmement brutal pour les frères, reconnus en 1956 par leur grand-mère dans un village où ils travaillaient pour un ostréiculteur. Leur mère vient les récupérer et…

 

C’est comme un tranchoir, vous êtes dans une vie, et en une seconde, vous basculez dans une autre. Il fallait nous réintégrer…On arrive dans cette famille de précepteurs à Paris…Évidemment, on a des vêtements chauds et de quoi se nourrir, mais pour nous, on passe de la liberté à la prison. On est enfermés dans une chambre. De 6 heures du matin à 8 heures du soir, on ne fait qu’apprendre à lire et à écrire. Des pages de lettres et de calculs pour rattraper le temps…Ce fut très violent, parce que ce qui est considéré comme le pire fut pour nous le meilleur, et inversement.

 

 

 

Entre 1945 et 1947, en Europe, 90 000 enfants se sont retrouvés sans parents ni identité.

 

340 000 ont été séparés de leur famille.

 

 

 

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères.