2006 – l’Amour ou la Mort…

« Rien ne détruit mieux une mystique bien construite que la puanteur de la réalité », écrit le journaliste américain Greg Campbell, dont l’enquête, enfin traduite en français, a inspiré en 2006 le film à succès Blood Diamond, d’Edward Zwick. Beaucoup a été dit sur le trafic de diamants en Sierra Leone, et sur l’extrême violence d’une guerre civile que les précieux minerais ont financée dans les années 1990. Cet ouvrage remonte la chaîne jusqu’aux marchés internationaux d’Anvers et de Chicago. Campbell décrit par le menu comment les industriels du secteur ont sciemment alimenté des conflits meurtriers parce qu’ils leur permettaient de trouver des gemmes à prix réduits auprès des chefs de guerre locaux. Son enquête montre comment quelques personnes parviennent encore aujourd’hui à contrôler la quantité de diamants mis en circulation, et donc l’évolution des cours. Au XIXe siècle, le fondateur de la compagnie diamantaire De Beers, Cecil Rhodes, avait coutume de dire que l’avenir de son empire serait garanti « tant que les hommes et les femmes tomberont amoureux »…

 

Le monde entier voit dans les diamants un symbole de richesse, d’amour, de beauté et de glamour, mais en Sierra Leone, ces joyaux étincelants ont une tout autre connotation. Le réalisateur Edward Zwick évoque les « diamants de la guerre » qui sont au coeur du long métrage Blood Diamond…« Les « diamants de la guerre » sont des pierres précieuses, exportées en secret de pays en conflit. Ils servent à acheter des armes, qui provoqueront encore plus de morts et de destructions. Bien qu’ils ne représentent qu’une infime partie des ventes mondiales de joyaux, ils permettent d’acquérir quantité d’armes légères. À la fin des années 1990, des ONG leur ont donné un nom « Blood diamonds ». Je n’avais encore qu’une vague idée de leur rôle lorsque Paula Weinstein m’adressa ce scénario. Plus j’en ai appris à leur sujet, plus j’ai été horrifié, et plus j’ai été décidé à raconter cette histoire. » Le réalisateur Edward Zwick pense que…La conscience politique peut être éveillée par une oeuvre de divertissement autant que par des discours. Rien ne nous interdit de traiter un thème provocant par le biais d’une histoire palpitante. En tant que réalisateur, je désire avant tout divertir, mais il est permis d’espérer faire bouger les choses en aidant les gens à prendre conscience des problèmes de notre temps. Un film, un livre, une oeuvre d’art ne changent pas à eux seuls la face du monde, mais ils vous permettent au moins de faire entendre votre voix.  » S’il me fallait résumer d’une phrase le film, je le ferais sous forme de question…« Qu’est-ce qui compte le plus dans une vie ? » Pour l’ancien mercenaire Danny Archer, c’est une pierre précieuse, pour le pêcheur Solomon Vandy, c’est rejoindre son fils, pour la journaliste Maddy Bowen, c’est faire aboutir son enquête. Mais le coeur du film, son principal ressort dramatique, est la rencontre d’un homme à la recherche d’un diamant et d’un autre, qui est prêt à tout pour retrouver son enfant. Au fil de l’écriture de Blood Diamond, une crise d’une tout autre ampleur vint nourrir le propos du réalisateur...Le drame des enfants soldats prit à l’époque une résonance particulière. L’exploitation de ces jeunes m’apparut indissolublement liée à celles des ressources du tiers-monde. C’est pour m’en souvenir au début de chaque jour de tournage que j’ai écrit sur la couverture de mon script « Le joyau, c’est l’enfant. »

 

 

 

 

 

Le monde entier voit dans les diamants un symbole de richesse, d’amour, de beauté et de glamour, mais en Sierra Leone, ces joyaux étincelants ont une tout autre connotation…« Les « diamants de la guerre » sont des pierres précieuses, exportées en secret de pays en conflit. Ils servent à acheter des armes, qui provoqueront encore plus de morts et de destructions. Bien qu’ils ne représentent qu’une infime partie des ventes mondiales de joyaux, ils permettent d’acquérir quantité d’armes légères. À la fin des années 1990, des ONG leur ont donné le nom de « blood diamonds » Je n’avais encore qu’une vague idée de leur rôle lorsqu’on m’adressa ce scénario. Plus j’en ai appris à leur sujet, plus j’ai été horrifié, et plus j’ai été décidé à raconter cette histoire. »

 

Edward Zwick, se qualifie volontiers d’éternel étudiant, s’appliqua à recueillir un maximum d’informations sur les « pierres de sang », les répercussions de leur trafic, les enfants soldats et la révolution de la Sierra Leone. Au cours de ses recherches, il découvrit sur Internet un autre réalisateur, le documentariste Sorious Samura, dont l’apport se révéla décisif. Il explique…Son Cry Freetown est la source la plus précise et la plus complète sur la guerre civile de la Sierra Leone. Alors que de nombreux journalistes avaient pris la fuite et qu’une bonne partie du monde avait choisi de fermer les yeux sur ce drame, Samura resta sur place et filma les événements. Je pense que la conscience politique peut être éveillée par une oeuvre de divertissement autant que par des discours. Rien ne nous interdit de traiter un thème provocant par le biais d’une histoire palpitante. En tant que réalisateur, je désire avant tout divertir, mais il est permis d’espérer faire bouger les choses en aidant les gens à prendre conscience des problèmes de notre temps. Un film, un livre, une oeuvre d’art ne changent pas à eux seuls la face du monde, mais ils vous permettent au moins de faire entendre votre voix. S’il me fallait résumer d’une phrase le film, je le ferais sous forme de question…« Qu’est-ce qui compte le plus dans une vie ? » Pour l’ancien mercenaire Danny Archer, c’est une pierre précieuse, pour le pêcheur Solomon Vandy, c’est rejoindre son fils, pour la journaliste Maddy Bowen, c’est faire aboutir son enquête. Mais le cœur du film, son principal ressort dramatique, est la rencontre d’un homme à la recherche d’un diamant et d’un autre, qui est prêt à tout pour retrouver son enfant.

 

Leonardo DiCaprio, l’acteur principal de Blood Diamond, va dans le sens du cinéaste…Ce qui m’a le plus impressionné chez Edward, c’est son désir de faire un film d’aventures porteur d’un message fort. J’ai su dès la lecture du script qu’il y aurait d’importantes recherches personnelles à faire. C’est un des aspects qui m’ont tout de suite attiré vers ce film. Nous devions tous nous immerger dans ce monde et recueillir des témoignages de première main. Devant interpréter un homme originaire de Rhodésie (l’actuel Zimbabwe), il était important que j’entende parler les gens du cru. Tout cela a constitué pour moi une expérience inédite.

 

Djimon Hounsou, originaire du Bénin, avait un temps d’avance sur ses partenaires…L’un des mérites essentiels du film est de montrer ce qu’affrontent quotidiennement des hommes et femmes de ce continent. Solomon est un simple pêcheur, pris dans la tourmente de la guerre civile. Séparé brutalement des siens, il voit son fils tomber aux mains des rebelles. Dans ce pays, comme dans beaucoup d’États africains, un fils porte tous les espoirs de son père, tous les rêves que celui-ci n’a pu réaliser. Rien n’est plus important aux yeux de Solomon que de sauver cet enfant.

 

Jennifer Connelly, la photographe héroïne du film.

 

 

 

Le tournage s’est déroulé en Afrique, sur les terres du Mozambique et d’Afrique du Sud.

 

 

 

 

Pour une poignée de carats…  Par Thomas Sotinel



Entre les guerres, celle qui a déchiré la Sierra Leone à la fin du XXe siècle compte parmi les plus sales. Les seuls héros furent les civils mutilés qui marchèrent des jours dans la jungle malgré leurs blessures, afin de gagner les camps de réfugiés en Guinée. Les combattants ne se distinguaient que par leur degré de barbarie, de corruption ou de lâcheté. De cette horreur, qui accuse aussi impitoyablement le monde développé que l’Afrique, le réalisateur hollywoodien Edward Zwick a entrepris de tirer un grand divertissement spectaculaire. A première vue, la démarche est obscène surtout si l’on rapproche le budget du film et celui du PIB de la Sierra Leone…100 millions de dollars pour faire exister Blood Diamond, Payer son équipe de quelques centaines de personnes, ses vedettes, parmi lesquelles Leonard DiCaprio. 700 millions de dollars de ressources pour les 3,5 millions d’habitants du petit pays d’Afrique de l’Ouest. Pourtant, même et surtout si l’on est, pour une raison ou une autre, particulièrement sensible au sort des Sierra-Léonais, l’existence de Blood Diamond est une consolation tardive mais efficace. Par la grâce de la fiction et du star-system, cette tragédie, qui n’est restée jusqu’ici que l’une des vignettes de la collection des atrocités mondiales, quelque part entre Liberia et Rwanda, va prendre une force qu’elle n’a jamais eue. Le scénario de Charles Leavitt procède par grandes simplifications. Evacuée la géopolitique régionale qui a fait intervenir toutes les puissances d’Afrique de l’Ouest dans le conflit, évacuée l’imbrication de la guerre civile en Sierra Leone et du conflit libanais…Les diamants du pays ont financé certaines factions par l’intermédiaire de la communauté libanaise établie dans le pays et bien d’autres choses encore.

 

Restent trois personnages…Solomon Vandy (Djimon Hounsou), un pêcheur sierra-léonais ballotté par la guerre…Maddy Bowen (Jennifer Connelly) une journaliste américaine, et Danny Archer, mercenaire sud-africain né en Rhodésie une appellation à laquelle il tient, trafiquant de diamants à ses heures (Leonardo DiCaprio). Le film ne se refuse aucun des ingrédients de la cuisine hollywoodienne classique…Quand le village de Solomon est attaqué par la rébellion du Front uni révolutionnaire (RUF), le chef sadique lui épargne au dernier moment l’amputation, pour l’envoyer sur les champs diamantifères. Là, le villageois, qui ne désespère pas de retrouver sa famille, découvre une énorme pierre, juste avant que la base rebelle ne soit attaquée par les gouvernementaux. Incarcéré par ces derniers, Solomon partage accidentellement son secret avec Danny Archer, qui veut s’approprier le diamant. Alors que le RUF menace Freetown, la capitale, Solomon et Archer partent à la quête du diamant, accompagnés de la journaliste à qui le mercenaire a fait miroiter des informations exclusives sur la collusion entre la firme militaire privée sud-africaine qui l’emploie et les multinationales du diamant. Leur chemin croisera celui de Dia, le fils du pêcheur, dont les rebelles ont fait un enfant soldat. Solomon Vandy sauvera-t-il son fils ? Danny Archer se rachètera-t-il ? Le film répond à ces questions de la façon la plus classique. Ces figures un peu désuètes de la fiction sont vigoureusement insérées dans une peinture saisissante d’un pays en guerre. Réalisé au Mozambique et en Afrique du Sud, Blood Diamond recourt à des plans tournés par Edward Zwick à Freetown et dans les environs. Certaines collines sierra-léonaises ont été numériquement raccordées aux bidonvilles de Maputo. A plusieurs reprises, cette accumulation d’artifices produit un effet de réalité saisissant comme ces plans du bar où se côtoient rebelles, gouvernementaux, mercenaires, humanitaires et journalistes ou la séquence qui montre l’entrée d’Archer et de Vandy dans un village dévasté où seul demeure un vieillard. Cette suspension de l’incrédulité du spectateur est facilitée par deux des interprètes principaux. Répondant à d’évidentes motivations pédagogiques, le scénario a décrété que le personnage civilisé et rationnel serait l’Africain pendant que le fils de colons serait une ordure qui met ses considérables pouvoirs de séduction au service de sa cupidité. Le personnage de père de famille qu’incarne Djimon Hounsou met en relief le monstre qu’a suscité Leonardo DiCaprio. C’est en grande partie grâce à lui que Blood Diamond parvient à ses fins. A ses fins spectaculaires d’abord, parce que les rebondissements savamment agencés servent d’accessoires à la progression du personnage. A ses fins militantes ensuite, DiCaprio fait croire à la cupidité et à l’aveuglement d’hommes prêts à détruire un pays pour quelques milliers de carats.

 

 

 

 

Efficace mais pesant… par Jean-Baptiste Morain

 

 Il y a pas mal de films dans Blood Diamond, ou plutôt un faisceau de lignes de récit, tant il semble évident que le scénario a dû subir plusieurs phases d’écriture et de réécriture, passant par les mains de nombreux avocats, avant de devenir un film car on sait que la production a été soumise aux pressions des lobbies diamantaires. Un résultat forcément hybride, dont on peut dire en gros qu’il s’agit d’une tentative d’actualisation des grands films d’aventures hollywoodiens avec l’âpreté au gain et amours sur fond de guerre. DiCaprio y interprète un baroudeur et trafiquant de diamants sud-africain sans scrupule, sorte de Bogart de Casablanca ou d’En avoir ou pas qui trouverait la rédemption en devenant au final le Gary Cooper de Pour qui sonne le glas. S’agrègent donc ainsi un film de guerre sur la guerre civile au Sierra Leone à la fin du siècle dernier…Une guérilla financée par le trafic international de diamants les fameux « diamants de guerre, une histoire d’amour avec une charmante et bien sûr courageuse journaliste et une histoire de gamin enlevé à sa famille transformé en enfant soldat, que son père pêcheur va tout faire pour retrouver. Le tout étant dirigé par un macguffin de la plus belle espèce. Mais ce n’est pas tout ! Blood Diamond se veut aussi et sans doute avant tout un portrait de l’Afrique aujourd’hui, comprenant une partie pédagogique et un brin militante sur la réalité multiéthnique de ce continent avec des propos idéologiquement très confus sur l’humanitarisme niaiseux des Occidentaux, et une toute petite partie consacrée aux animaux. Tout ce fourbi un tantinet assommant à la longue ne fonctionne pas très bien, malgré ou à cause du rythme trop régulier imposé au récit, alternance métronomique de scènes bavardes et de scènes de massacres collectifs. Or c’est sans doute là que la mécanique grippe, phénomène assez classique dans les films de guerre avec la vision répétée d’hécatombes d’hommes, de femmes et d’enfants finit par blaser le spectateur. En quoi la mort des héros devrait-elle nous peiner davantage que celle des centaines d’anonymes qui jonchent les décors fort photogéniques du film ? Pour finir sur une note plus légère, on appréciera par ailleurs à sa juste mesure l’ingénuité du carton final du film, qui exhorte les spectateurs consommateurs à vérifier, lorsqu’ils achètent leurs diamants, qu’ils ne soient pas « de guerre »…

 

 

 

 

Clinquant caillou…    par Antoine Legond

 

This is Africa. Une simple phrase qui revient comme un leitmotiv tout au long du film d’Edward Zwick, résumant l’instabilité politique permanente de toute une partie de ce continent, le chaos des guerres, la condition terrifiante des enfants-soldats, et semblant vouloir justifier, dans la bouche de ceux qui la prononcent, le sanglant trafic de diamants par un Occident avide et corrompu. Mais une phrase qui n’a rien de totalement pessimiste, puisqu’elle évoque aussi les paysages sublimes de ce monde originel, ses habitants liés à la terre, pétris de valeurs fortes…Le sacrifice, la rédemption, l’amour bien sûr. Ça peut paraître beaucoup pour ces trois petits mots. Ça l’est également pour un film. Blood Diamond a bien des mérites, à commencer par traiter de sujets en gros, l’exploitation d’un continent par un autre, du faible par le fort, du Noir par le Blanc relativement rares au cinéma, hollywoodien de surcroît. Pas de doute, le spectateur est mis face à une réalité dont il est loin de soupçonner les détails les plus sordides. D’autant que, pendant toute une première partie, le propos paraît parfaitement documenté et surtout, nuancé : du premier au dernier maillon de la chaîne, du mineur forcé au technocrate le plus haut placé, tous semblent vouloir apporter leur point de vue sur la situation. Un casting rassurant, une image au grain rugueux, très réaliste, les reconstitutions des camps de réfugiés ou des carnages en plein cœur des villes sont magistrales, ainsi qu’une mise en scène brute, nerveuse, achèvent de capter l’attention.

 

Mais curieusement, c’est une fois la situation bien en place que le film va prendre la tournure qu’on pouvait craindre. Comme s’il était dépassé par un sujet dont il ne maîtrise pas toute la densité, dont il ne mesure pas toute la difficulté, Blood Diamond, d’un thriller politique intéressant, vire assez vite au pur film d’action et raté, encore. Il abandonne alors toute velléité de mise en balance pour installer un manichéisme tirant fort sur le ridicule. La multitude des points de vue s’efface au profit d’une lutte à mort entre les gentils et le méchant ce dernier, qui n’était sans doute pas encore assez terrible, devient borgne, horreur ! Peu à peu, les grossières incohérences du scénario, la cacophonie croissante de la réalisation finissent par lasser, voire blaser. Comment rendre audible son propos quand tout n’est plus que rafales d’armes automatiques, explosions, hurlements inhumains ? Et puis, lorsque cette véritable hystérie se calme un peu, ce n’est que pour laisser place de manière bien maladroite parce qu’attendue, redoutée à une épaisse couche de bons sentiments. L’improbable histoire d’amour entre un couple de héros qu’on entrevoit déjà en tenue de soirée pour les Oscars, et la quête du père pour sauver son jeune fils, armé par les rebelles, tiennent d’À la poursuite du diamant vert ou du Monde de Nemo version gore. C’est peut-être la limite du cinéma à portée politique que nous fait cruellement ressentir le long-métrage d’Edward Zwick. Parce qu’on imagine très bien les producteurs pimenter un projet sans doute peu séduisant aux yeux du grand public, en faisant réécrire tel passage trop verbeux, en privilégiant la démonstration de force à l’analyse, et en mettant à l’affiche un couple glamour aux beaux yeux bleus, on se dit qu’un documentaire même exagérément à charge comme Le Cauchemar de Darwin auquel on pense forcément aurait mieux valu. Quel malaise de se rendre compte que le scandale qu’on cherche à dénoncer ne sert en réalité qu’à mettre des stars en valeur, qu’à faire tourner l’industrie du cinéma ! Quel étrange sentiment de s’être fait berner ! Et l’hypocrisie de la méthode nous poursuit jusqu’à ce ridicule message final, qui nous encourage à toujours vérifier la provenance des diamants qu’on achète. Promis, la prochaine fois qu’on ira faire ses emplettes place Vendôme, on y pensera…

 

 

 

 

Edward Zwick 40 ans de cinéma et 13 films / 5 majeurs

 

 

 

 

La guerre civile sierra-léonaise dans le cinéma hollywoodien.

Une lecture critique de Blood Diamond

Paul Aimé EKOUMBAMAKA – Université de Douala/ Institut des Beaux-Arts

 

La guerre civile sierraléonaise qui a duré dix ans, a inspiré de nombreuses productions artistiques. C’est ainsi qu’en 2006, Hollywood a produit le film Blood Diamond. Et pourquoi Hollywood s’est-il intéressé à cette guerre civile ? À la lumière du concept de cadre de cohérence du projet cinématographique développé par Laurent Creton d’une part, et d’autre part, de l’approche sociohistorique du cinéma théorisée par Marc Ferro, cet article démontre qu’Hollywood n’a pas porté la guerre civile sierra léonaise à l’écran seulement pour la dénoncer, mais aussi pour faire un gros profit financier. L’article analyse d’abord la violence dans le processus de dénonciation de cette guerre, et ensuite, il étudie les stratégies de rentabilisation mises en place par l’équipe de production de Blood Diamond.

 

 

INTRODUCTION.

 

 

La guerre qui est un phénomène social, donne matière à réflexion à tous les spécialistes de tous les domaines de la connaissance…Philosophes, sociologues, théologiens, politologues, psychologues, linguistes, historiens, juristes, etc. Du côté des artistes, la guerre ne constitue également pas un sujet tabou. D’ailleurs, conscient de ce que la guerre est permanemment présente parmi les hommes, qu’il n’y a pas une période où l’humanité a été en paix, le cinéma en tant que forme artistique, a dirigé très tôt la caméra vers les scènes de guerre. Aussi Pierre Leprohon et al. écrivent-ils que…La guerre fait partie intégrante de l’homme et de son histoire, de son évolution. Aussi était-il très naturel que le cinéma s’y intéressât très vivement. Dès le début du cinéma et de son histoire, à ses origines même, on trouve des films consacrés à la guerre.

 

 

C’était inévitable. La guerre était appelée à servir de thème à la construction du récit filmique, tout comme l’ont été et le sont encore la pauvreté, la trahison, le pouvoir, l’amour et l’injustice par exemple. Art social par excellence, le cinéma n’invente pas les contenus des films. C’est l’image du monde, telle qu’elle se présente à divers endroits et périodes, que le cinéma véhicule à travers les films. Cela ne surprend donc pas si la guerre civile sierra léonaise n’a pas échappé au monde de la création cinématographique. D’où le film Blood Diamond, inspiré de ladite guerre et produit par Hollywood. Mais pourquoi Hollywood s’est-il intéressé à la guerre civile sierraléonaise survenue au début des années 90, et qui a pris fin en 2001 ? Telle est la question à laquelle le présent travail ambitionne de répondre. L’hypothèse au centre de cet article est alors la suivante…Hollywood a porté la guerre civile Sierra-léonaise à l’écran pour la dénoncer, mais également pour faire un gros profit financier. Comme Blood Diamond est un film historique, c’est-à-dire inspiré des événements réellement survenus en Sierra Leone, il importe de chercher à voir si les faits présentés à l’écran, notamment la violence extrême, se rapprochent de ce qui est arrivé en Sierra Leone pendant cette guerre civile. Ce n’est que de cette façon qu’il est possible de démontrer que Blood Diamond a été produit pour dénoncer la guerre civile sierraléonaise, et aussi pour sensibiliser le spectateur sur ladite guerre. C’est la raison pour laquelle l’approche sociohistorique du cinéma, telle que conçue par Marc Ferro, se trouve vivement interpellée dans cet article. Cet auteur qui a inauguré cette voie de recherche au cinéma, soutient que pour comprendre et expliquer adéquatement un film inspiré d’un fait historique, il faut simultanément s’intéresser au film lui-même et aux éléments externes à l’univers du film. Marc Ferro écrit à ce propos…Le film, ici, n’est pas considéré d’un point de vue sémiologique. Il ne s’agit pas non plus d’esthétique ou d’histoire du cinéma. Le film est observé non comme une oeuvre d’art, mais comme un produit, une image-objet, dont les significations ne sont pas seulement cinématographiques. Il ne vaut pas seulement par ce dont il témoigne mais par l’approche sociohistorique qu’il autorise. Analyser dans le film aussi bien le récit, le décor, l’écriture, les relations du film avec ce qui n’est pas film…L’auteur, la production, le public, la critique. On peut espérer ainsi comprendre non seulement l’oeuvre mais aussi la réalité qu’elle figure.

 

 

Comme il est également question de démontrer dans ce travail qu’en produisant Blood Diamond qui a pour toile de fond la guerre civile sierraléonaise, Hollywood était en quête d’affaires lucratives, cette étude est alors conduite sous l’éclairage du concept de cadre de cohérence du projet cinématographique développé par Laurent Creton. D’après ledit concept de cet économiste du cinéma, ceux qui financent les films prennent soin d’opérer des choix stratégiques en amont, afin que le projet aboutisse d’une part, et d’autre part, qu’il soit surtout rentable. D’où les questions suivantes formulées par Laurent Creton, et qui structurent le cadre de cohérence du projet cinématographique…Quel film voulons-nous faire ? Pour quel public avec quelle diffusion ? Quels sont les moyens nécessaires ? Quelles sont les ressources nécessaires ? Quel couple rentabilité-risque ? Il est clair qu’avec de telles questions, l’équipe de production souhaite se mettre à l’abri des risques. Cependant, en dehors de l’approche sociohistorique du cinéma et du concept de cadre de cohérence du projet cinématographique mobilisés comme grilles de lecture pour mener cette recherche, il y a, au niveau de la méthodologie, le dépouillement des journaux français précisément. L’objectif visé à travers ce dépouillement, est la prise en compte des avis des critiques de cinéma sur ce film après sa sortie en salles. En effet, les points de vue de ces critiques, tout comme les référents historiques sur la guerre civile Sierraléonaise, sont valables pour étudier ladite guerre vue par le cinéma. À part ces avis des spécialistes parus dans les colonnes des journaux, il y a aussi les avis de l’équipe de production du film Blood Diamond, qui sont ici pris en considération. S’agissant toujours de la méthodologie, seules quelques scènes pertinentes, après visionnage entier et répété de ce film, feront l’objet d’analyse dans le présent travail. La justification de la préférence du film étudié s’impose également. Puisque ce travail porte sur la guerre civile sierraléonaise et le milieu du cinéma hollywoodien, seul un film mettant en scène cette période trouble de la Sierra Leone, et issu de la machine à rêves américaine, était approprié. Et jusqu’ici, Blood Diamond demeure la seule fiction filmique qui a porté à l’écran la guerre civile sierraléonaise, et qui est sortie du moule de la Warner Bros, l’une des grandes maisons de production hollywoodienne. À ce niveau donc, le choix de Blood Diamond a été imposé par le sujet même de cet article. Mais il n’y a pas que le sujet qui a motivé le choix de ce film. Il y a aussi la visibilité. En effet, Blood Diamond a été présenté à plusieurs cérémonies cinématographiques internationales. Il a également été projeté dans plusieurs salles de cinéma à travers le monde. Et à sa sortie, il a suscité de vives polémiques. Cela prouve que Blood Diamond n’est pas resté sous le boisseau. Dit autrement, ce film n’est pas passé inaperçu. Au demeurant, voilà les deux raisons qui ont conduit à l’élection de ce film. Cherchant à démontrer dans ce travail qu’Hollywood a produit le film Blood Diamond pour dénoncer la guerre civile sierraléonaise, ainsi que pour tirer profit de cet événement tragique qui a ébranlé le monde, le développement de cet article connaîtra deux articulations. La première articulation abordera la dénonciation de la guerre civile sierraléonaise à travers l’analyse de la violence qui est mise en scène. La deuxième articulation, quant à elle, étudiera la « vie » de Blood Diamond, plus précisément les stratégies de rentabilisation de ce film.

 

 

I. La violence dans le processus de dénonciation.

 

 

Lorsqu’il s’agit de la guerre, qu’elle soit conventionnelle ou non, il y a toujours un élément qui rythme son déroulement, la violence. Celle-ci se manifeste également sous deux principales formes. Il y a la violence physique et celle dite symbolique. Si la guerre est souvent portée à l’écran, c’est d’abord à cause de la violence physique qui entraîne beaucoup de morts et des pertes matérielles considérables. La guerre civile survenue en Sierra Leone entre 1991 et 2001 pour le contrôle des mines de diamant, a justement connu une violence physique extrême. Face au « spectacle » de la guerre, les cinéastes et milieux du cinéma ont généralement trois options. La première est l’héroïsation des combattants. La deuxième est la commémoration de la guerre. La troisième est la dénonciation de la guerre. Avec le film Blood Diamond, le réalisateur Edward Zwick soutenu par Hollywood, a opté pour la dénonciation de la guerre. À la lumière de la troisième option précisément, la guerre fait peser sur le cinéma une lourde responsabilité.

 

Au-delà de divertir, de permettre l’évasion à travers le récit sur la guerre, le septième art est appelé à condamner la guerre au même titre que les gouvernements, les sociétés civiles et les organisations non gouvernementales. Aussi dans le présent article, la question de la dénonciation de la guerre civile sierraléonaise passera-t-elle par l’examen de deux formes de la violence physique…La torture et le massacre. Il s’agira d’étudier la manière dont le réalisateur Edward Zwick a traité la torture et le massacre à des fins de dénonciation. Pour ce faire, l’étude se penchera résolument sur les ressources expressives spécifiques et non spécifiquesdu médium cinéma. En effet, pour une analyse efficace des représentations au cinéma, Pierre Sorlin recommande d’associer à l’anecdote, la construction du film définie par l’auteur comme « l’agencement des divers matériaux, visuels et sonores qui donnent forme à l’anecdote.

 

 

I.1 La Torture.

 

 

La torture comme violence physique, est une pratique courante dans les moments de guerre. Il est question à travers elle, de brutaliser le corps de l’individu. C’est pourquoi face à cette pratique, la victime ne résiste pas à la tentation de pleurer, de crier ou de se tordre à cause de la douleur qu’elle ressent. Aussi Michel Foucault définit-il la torture comme « Toute peine corporelle douloureuse, plus ou moins atroce.» Dans Blood Diamond, il apparaît une seule scène majeure de torture. Il s’agit de la scène de mutilation des villageois par les rebelles du RUF. Ce sont en effet les mutilations des civils qui ont fait connaître la guerre civile sierraléonaise à travers le monde. Les critiques sont unanimes sur la question. Thomas Hofnung écrit à ce propos…Ce petit pays, est également resté dans les mémoires pour les horribles mutilations qu’ont fait subir les rebelles du RUF à la population civile.

 

 

Sachant pertinemment que les mutilations des civils furent la caractéristique principale de cette guerre civile, le cinéaste livre dans son film une représentation assez réaliste de la scène d’amputation…Le bourreau armé d’une hache pour amputer, les spectateurs ainsi que les aides constitués d’enfants-soldats, les victimes constituées de civils, la fameuse question « manche courte ou bien manche longue ? » posée aux victimes avant leur amputation, et la présence du chef des rebelles qui donne des ordres. Cette scène qui ressort l’animosité des rebelles du RUF qui amputent les civils innocents, montre systématiquement en plan rapproché, le bras d’un villageois qui se détache du reste du corps sous l’action de la hache solidement tenue par les mains du bourreau. Cette action barbare arrache un cri désespéré à la victime dont le cadrage en gros plan du visage, laisse transparaître la douleur mortelle qu’elle ressent à ce moment précis. La bande-son, saturée par des cris jubilatoires des enfants-soldats cadrés dans un plan d’ensemble qui traduit leur soutien au bourreau pendant que la « coupe » des bras s’effectue, vient significativement mettre en évidence cette animosité. Et pour exprimer également la dureté de cœur des rebelles, leur inhumanité, Edward Zwick supprime systématiquement l’élément musical de cette scène. Par ailleurs, la violation flagrante des droits humains par les rebelles est cinématographiquement exprimée par la violation d’un des principes chers au cinéma hollywoodien classique. Il s’agit ici de la règle des 180 degrés, qui fait partie de l’esthétique de la transparence qui caractérise le film hollywoodien classique. Charlotte Garson rappelle cette norme esthétique en vigueur à Hollywood quand elle écrit...Le montage hollywoodien obéit à des règles qui tendent à rendre les coupes ″invisibles″: les plans, entités techniques, s’articulent selon des raccords qui suivent la direction des regards et la continuité des mouvements et respectent la règle des 180 degrés. En effet, dans cette scène d’amputation où le chef sadique des rebelles décide de tout, il est vu tantôt à gauche, tantôt à droite de l’écran quand il s’adresse sans se déplacer, soit aux victimes, soit au bourreau à qui il donne des ordres. Ce chef est cadré sept fois occupant le côté droit de l’écran, et deux fois occupant le côté gauche de façon irrégulière.

 

Tout comme les rebelles franchissaient la ligne rouge en amputant les civils pendant la guerre, sans être inquiétés par le gouvernement sierraléonais, Edward Zwick à son tour, franchit consciemment la ligne des 180 degrés en privant le spectateur de la transparence qu’il est en droit d’attendre, quant à la succession des plans. Le groupe des rebelles et Edward Zwick s’écartent donc tous de la norme. D’un côté, les rebelles amputent les civils. Ce qui est condamnable puisqu’ ils violent une loi sociale. De l’autre côté, Edward Zwick déroute le spectateur. Ce qui est aussi réprimandé par le milieu du cinéma classique hollywoodien. Mais cette transgression de la ligne imaginaire par le cinéaste, associée aux autres outils cinématographiques tels que le cadrage rapproché des bras sanguinolents, et des victimes dont les visages sont filmés en gros plans qui, selon Laurent Jullier, passent souvent pour des facteurs de contrainte de l’attention, tend à incommoder le spectateur duquel le cinéaste attend justement une prise de conscience et aussi une vive réaction devant ces amputations qui visaient, en pleine guerre civile en Sierra Leone, à terroriser les civils, afin de les contraindre à aller travailler dans les mines de diamant pour le compte des rebelles. Le cinéaste semble avoir atteint son but quand il déclare…Je pense que le cinéma est un bon moyen pour attirer l’attention des gens sur certains dossiers. On me demande tout le temps si je pense que ″Blood Diamond″ peut changer les choses. Mais le film a déjà changé les choses, avant même sa sortie avec les entreprises du diamant qui font des efforts de transparence, ″le processus de Kimberley″, qui vise à éliminer les pierres sales du commerce de diamant a été réexaminé.

 

Dans sa démarche, Blood Diamond rejoint donc le processus de Kimberley. Celui-ci est l’une des résolutions prises en mai 2000, par la communauté internationale réunie en Afrique du Sud. Il s’agit précisément de lutter contre le commerce illicite des diamants à travers le monde, et aussi d’éradiquer les diamants issus des zones de guerre. Sur cette question qui vise à rendre transparent le commerce des diamants, Yannick Mondy et Dany Deschênes écrivent...Le processus de négociation dit de ̋ Kimberley″ devrait permettre dans les mois à venir d’assainir la situation du trafic des diamants. Cette finalité recherchée par Edward Zwick est saluée par la critique à la sortie du film. Un article sans nom d’auteur, paru dans Lyon Plus, souligne…Le message, sans ambigüité, remue la conscience du spectateur, appelé à devenir un consommateur responsable et à exiger une traçabilité des diamants, car malgré leur côté glamour, exalté par les magazines de papier glacé, ceux-ci peuvent sentir la mort. Leonardo Di Caprio qui interprète le rôle de trafiquant de diamant sous le nom de Danny Archer dans Blood Diamond, loue aussi l’effet qu’a eu le film auprès du lobby de l’industrie diamantaire qui, avant même la sortie du film, avait mené une campagne publicitaire visant à démontrer que les diamants ne sont pas porteurs de malheurs. L’acteur américain déclare alors…Je suis heureux qu’un film hollywoodien à grand spectacle ait eu cet impact. Il porte un message social, politique et permet une prise de conscience collective. Le massacre est toujours un acte de violence que commet un groupe de personnes qui se donne pour objectif principal d’ôter la vie à un autre groupe de personnes vulnérables, c’est-à dire qui n’a pas vraiment les moyens d’opposer une résistance à leurs agresseurs. C’est dans ce sens que Jacques Sémelin présente le massacre comme étant…L’action le plus souvent collective de destruction d’individus sans défense, c’est-à-dire en général de civils non impliqués dans un conflit. Et justement, la mort à grande échelle a été couramment donnée à la population sans défense durant la guerre civile sierraléonaise.

 

Aussi Hollywood n’a-t-il pas fait l’économie du massacre dans le film Blood Diamond. Il faut signaler d’entrée de jeu que la mise en scène des massacres par Edward Zwick dans Blood Diamond, relève essentiellement du spectaculaire avec fusillade des villageois par les rebelles du RUF, grand mouvement de foule en panique, poursuite et fusillade des citadins par des rebelles du RUF à travers les rues de Freetown, massacre des villageois par les enfants-soldats. Edward Zwick montre simultanément à l’écran les massacreurs et les massacrés. En clair, le cinéaste laisse le spectateur vivre en direct les scènes des tueries massives. Mettre en évidence la cruauté à l’écran, dans l’intention de pousser le spectateur à une prise de conscience, semble être le principe qui régit le traitement des massacres chez Edward Zwick. Dans un entretien avec Olivier Bonard, le cinéaste déclare…En gros, nous avons essayé de montrer le chemin sanglant qu’une pierre peut prendre avant d’arriver à votre annulaire ou à votre oreille. Pour cela, il met en place une batterie argumentative suffisamment chargée pour convaincre et choquer le spectateur. Dans la scène du massacre des villageois par les rebelles du RUF, Edward Zwick cadre les victimes en plan rapproché poitrine ou en plan rapproché taille, au moment où elles reçoivent des balles en plein coeur avant de s’écrouler. Ce cadrage frontal rapproché des victimes, est également observé dans la scène de fusillade des civils toujours par les rebelles du RUF à travers les rues de Freetown. Le cinéaste oblige ainsi le spectateur à regarder l’impact produit par les balles dans la chair des victimes, ainsi que le sang qui jaillit abondamment. Le critique Eric Neuhoff peut alors écrire…Le spectacle donne froid au dos. Cette contrainte est encore favorisée d’un côté, par de nombreux plans d’ensemble serrés qui montrent le rebelle qui tire sur le civil qui tombe, et de l’autre côté, par un montage fractionné qui permet de nombreux raccords sur le regard. Quand les rebelles arrivent au village ou font leur entrée dans la ville de Freetown, un premier plan les montre pointant leurs fusils en direction des civils, et le second plan montre les civils atteints par les balles. C’est dans un rythme très accéléré, appuyé par une constante mobilité de la caméra, que les plans se succèdent à l’écran pendant les massacres. Au-delà du contenu dramatique exprimé ici par la nervosité du montage, c’est bien l’agitation du spectateur qui est recherchée par Edward Zwick. L’ONG Global Witness, qui oeuvre pour la dénonciation du trafic illicite des diamants en provenance des pays de guerre, sait gré au cinéaste…Tout ce qui renforce la prise de conscience du problème des diamants de guerre est positif. La guerre civile survenue en Sierra Leone n’a-t-elle pas ébranlé le monde entier à cause justement des massacres répétés des civils par les rebelles du RUF ? La déshumanisation qui transparaît dans ces différentes scènes de carnage, est davantage amplifiée par le fonctionnement d’une bande son épurée des dialogues, mais saturée par les bruits des coups de feu, les cris de détresse des victimes, sans oublier les rires des massacreurs Jacques Sémelin…Le 11 septembre comme massacre. La rationalité délirante et la propagation de la peur...Qui bénéficient aussi du cadrage frontal rapproché. La musique de fosse aux notes dissonantes, composée par James Newton Howard et obtenue au moyen d’un piano synthétiseur, vient aussi souligner cette déshumanisation.

 

Edward Zwick domestique quelques procédés sonores pour nommer l’innommable. Le son n’est plus utilisé pour lui même, mais se met avantageusement au service du récit. Cependant, cette esthétique qui est utilisée dans la mise en scène des massacres, n’est pas infondée. En réalité, l’esthétique d’un film n’est pas un accident dans la création ou une rencontre fortuite entre le cinéaste et son oeuvre. Elle est parfois cette esthétique- impulsée aussi bien de l’extérieur, que de l’intérieur du monde du cinéma par des forces agissantes. Ces dernières conçoivent et définissent la forme d’un film, en fonction des objectifs qu’elles se donnent, mais également des buts qu’elles veulent atteindre. Les scènes des massacres qui viennent de faire l’objet d’analyse, renvoient fortement aux scènes rencontrées dans les films d’action produits dans la tradition cinématographique hollywoodienne. Ce qui pousse le critique Thomas Sotinel à écrire…Le film ne se refuse aucun des ingrédients de la cuisine hollywoodienne classique. Même Olivier Bonnard ne voit pas un autre style que celui d’Hollywood…Inspiré par son sujet, Edward Zwick réussit parfaitement le mélange entre spectacle et charge politique. Il s’inscrit dans la tradition du film d’aventures hollywoodien. Mais il n’y a pas que la Warner Bros qui, de par son style, a orienté la mise en scène des massacres. Même l’ONG Global Witness qui n’appartient pas au monde du cinéma, a certainement eu une influence sur la forme de ce film, du fait qu’elle a été conseillère technique dans cette production. Aussi Christophe Ayad et Didier Péron rappellent-ils que…Blood Diamond est d’autant plus efficace que la très informée ONG britannique Global Witness, qui a longtemps dénoncé ces coupables pratiques, a joué un rôle de conseiller technique. C’est une esthétique de la déstabilisation qui se révèle à travers le traitement des massacres. En effet, l’un des objectifs des massacres des civils par les rebelles du RUF pendant la guerre sierra-léonaise, était de déstabiliser le pouvoir en place qui, d’après le RUF, bénéficiait du soutien de la population. Un ex- enfant-soldat qui a combattu aux côtés du RUF, déclare à ce sujet…On nous a donné l’ordre de tuer tous les civils qu’on rencontrerait. On nous a dit d’aller terroriser les civils par tous les moyens possibles, car les civils soutenaient le gouvernement de Téjan Kabbah. Et le déséquilibre observé dans le fonctionnement de la bande son, qui se caractérise par l’absence des paroles dans les scènes des massacres, met bien en évidence cet objectif. En 1996 en effet, l’opération « Stop Elections » fut lancée par le RUF, en réponse au double scrutin présidentiel et législatif en Sierra Leone. L’objectif était d’empêcher justement cette population civile d’aller voter, c’est-à-dire de choisir en toute liberté les dirigeants de la Sierra Leone. Parmi ces dirigeants, figurait Téjan Kabbah que le RUF ne supportait plus de voir à la tête du pays. Dans le traitement des scènes de massacre, Edward Zwick ne s’encombre ni de la technique elliptique, ni de la suggestion. Il ne charge aucun personnage de venir raconter au spectateur les événements liés au massacre. Le cinéaste ne cherche même pas à détourner l’attention du spectateur. Bien au contraire, il le plonge irrésistiblement dans les scènes des massacres à l’aide du style hollywoodien.

 

 

 

II. La guerre civile sierraléonaise.        23 mars 1991 – 18 janvier 2002 (10 ans, 9 mois et 26 jours)

 

 

Le film a un double statut, il est une oeuvre d’art, et un produit industriel, à l’exemple d’un téléphone. Parce que les films sont des marchandises culturelles, produites par l’industrie cinématographique en direction d’un public de masse, ils ne s’écartent pas des impératifs commerciaux. Ceux qui sont en charge de financer des films pour un large public, ne sont pas toujours mus par des motivations professionnelles, artistiques ou idéologiques. Et même si au départ, les motivations sus-évoquées sont à la base d’une réalisation filmique, il n’en demeure pas moins qu’il y a un désir de rentabiliser les investissements, qui anime les équipes de production, au vu surtout d’importantes ressources financières, matérielles et humaines souvent utilisées. Nicole Corvi et Marie-Martine Salort affirment à cet effet…La décision d’investir dans un film est liée à une espérance de profit.

 

 

René Bonnell ne pense pas différemment quand il écrit…En effet, aucun producteur, même le plus innovateur, ne cherche à perdre de l’argent, et le succès en salles est toujours escompté. Aussi cette deuxième articulation du présent travail ambitionne-t-elle d’aborder Blood Diamond sous le prisme des stratégies, entendues alors comme différents moyens utilisés, afin que ce film mette en sécurité et fructifie l’argent mobilisé pour sa production. Il faut cependant signaler que l’étude de la profitabilité sera considérée ici sous le seul aspect de l’intention.

 

 

 

 

II.1 Oui à la fiction, non au documentaire…

 

La nature du film à réaliser, ainsi que les différents éléments qui rentrent dans sa construction, intéressent également les producteurs. Ce sont donc autant des choix stratégiques qui ont pour fonction de pousser massivement les spectateurs dans les salles. Pour la majorité des spectateurs en effet, aller au cinéma, c’est surtout aller voir des films de fiction, c’est-à-dire les films qui racontent des histoires imaginaires ou encore des histoires inventées. C’est cette catégorie de films qui a le plus la ferveur du public., C’est pourquoi elle a fini par s’imposer dans l’univers de la création cinématographique. Et les investisseurs qui sont en quête de profit commercial, ont compris le parti qu’ils peuvent tirer en réalisant massivement les films de fiction. C’est ce qui explique que la production cinématographique soit composée majoritairement des films de fiction d’une part. André Gardies souligne à cet effet…L’industrie du cinéma-spectacle, du cinéma commercial celui qui occupe les écrans des villes et des campagnes repose depuis des décennies sur la diffusion des films racontant des fictions. D’autre part, ce n’est pas un fait du hasard si la plupart des films à succès sont des fictions. La fiction est donc incontestablement un appât de la clientèle du cinéma. En optant pour la fiction plutôt que pour le documentaire, les producteurs s’attendent à ce que le film soit vu par un large public. En effet, la fiction remplit aisément les salles de cinéma, car elle assure aux nombreux spectateurs, l’évasion ou le divertissement qu’ils recherchent prioritairement, lorsqu’ils décident d’aller au cinéma. Il n’est pas alors étonnant que l’équipe de production de Blood Diamond ait choisi la fiction. Il faut noter que la fiction filmique se bâtit sur quelques marqueurs. Et parmi ceux-ci, il y a le suspense. En tant que figure narrative, le suspense n’est pas étranger à la fiction. Il fait même corps avec elle. Dans quelle mesure le suspense s’avère-t-il l’un des grands alliés dans la production cinématographique pour maximiser les profits ? En effet, le suspense est l’un des ressorts de la dramaturgie du film de fiction. Il est donc un outillage narratif assez familier au spectateur. Lorsque ce dernier est en face d’une fiction, il s’attend sans doute à assister aux scènes qui cristallisent le suspense. Autrement dit, lors du visionnage, le spectateur s’attend à frémir, du fait précisément des scènes lourdement chargées sur le plan dramatique. C’est dans ce sens que Jacques Gerstenkorn souligne que le suspens...Fait monter la pression, déclenchant du côté du spectateur des poussées d’adrénaline. Cependant, cette poussée d’adrénaline ne concerne pas ou alors n’est pas réservée à un type de spectateur. Ce n’est pas parce que le personnage qui encourt un risque dans une scène filmique est un Anglais, que seuls les spectateurs anglais sentiront la pression monter en eux. Et si ce personnage est une femme, il n’y aura pas que des spectatrices qui ressentiront une vive sensation d’angoisse. Tout spectateur est donc soumis aux effets provoqués par le suspense, indépendamment des liens de race, de langue, de sexe ou de classe sociale avec le personnage pour lequel le spectateur craint. Jacqueline Nacache écrit pour cela…Cette crainte absolue détachée de tout investissement affectif, est sans doute l’un des effets les plus remarquables de la technique du suspense. Par le fait que le suspense agisse donc sur tout spectateur, il est susceptible de drainer les foules, c’est-à-dire d’augmenter les entrées en salles. Quelles sont donc ces scènes de suspense rencontrées dans Blood Diamond, et en quoi sont-elles rentables ? Blood Diamond qui est un film sur la guerre civile, n’était pas concevable sans une multitude de scènes de vive intensité dramatique. La guerre engendre toujours l’agitation, le trouble, le désordre. L’équipe de production de Blood Diamond qui appartient alors au milieu hollywoodien, s’est aussi approprié la figure narrative qui est le suspense, dans l’intention d’accrocher le spectateur. Pour parvenir à cette fin, l’équipe de production a mis une somme d’argent colossale, soit 100 millions de dollars. Et c’est pour cette raison qu’à la sortie du film, Christophe Ayad et Didier Péron présentent Blood Diamond comme une grosse production.

 

Ce film a généré 171 millions de dollars de recettes mondiales. Les grosses productions, encore appelées blockbusters dans le jargon de l’industrie cinématographique, se donnent pour mission d’atteindre les publics aussi larges que variés et dans un temps très court. À la différence des films d’auteur, les blockbusters sont essentiellement faits pour plaire au grand nombre de spectateurs. Aussi Vincent Lowy les qualifie-t-il...De machines de guerre commerciales destinées à attirer un large public, un peu comme le feraient des parcs d’attractions. Et pour exercer une attraction sur une large audience, les blockbusters au niveau de la forme, racontent des histoires aisément compréhensibles d’une part. D’autre part, ils contiennent des scènes spectaculaires nourries d’effets spéciaux. Gilles Lipovetsky et Jean Serroy écrivent à cet effet…À coup sûr, les blockbusters se construisent à partir d’histoires simples, bourrées d’effets spéciaux, d’actions ″efficaces″. Le film Blood Diamond présente ces qualités. Quand ce film sort, Jean-Luc Wachthausen écrit justement...Voici un bon film d’action qui n’échappe pas aux explosions, courses-poursuites et autres effets spéciaux. Noël Tinazzi renchérit en soulignant que…Blood Diamond répond à tous les critères des films d’action à grand spectacle avec explosions, fusillades, courses-poursuites. Les scènes à suspense, présentes dans Blood Diamond, sont justement des scènes éminemment spectaculaires. Elles sont donc capables de faire courir un grand nombre de spectateurs dans les salles. Sur ce point, l’équipe de production de Blood Diamond a gagné son pari, à en juger par le nombre impressionnant d’entrées enregistrées au Box-office. Louis Guichard écrit…Car médiatiquement Blood Diamond fait du bruit, il remplit les salles, suscite moult reportages. Au tableau de ces scènes à suspense, celles qui font craindre le pire au spectateur, figure en bonne place la scène d’attaque de Freetown par les rebelles du RUF. Cette scène débute par une discussion devant un hôtel entre le héros Salomon Vandy et le trafiquant de diamant Danny Archer. Il tente de convaincre Salomon Vandy de lui montrer l’endroit où il a caché le diamant rose. Et en retour, le trafiquant de diamant lui promet de l’aider à retrouver son fils kidnappé par les rebelles. Pendant qu’ils discutent, une bombe explose au loin. Alors que les deux personnages s’effrayent, le spectateur reste relativement calme. Ce n’est qu’au plan suivant qu’il se met véritablement à ressentir son adrénaline monter, lorsque les rebelles et les enfants-soldats arrivent à bord des jeeps, commencent à tirer dans toutes les directions, et que Salomon Vandy et Danny Archer se mettent à courir pour trouver un abri. Au cours de cette scène d’attaque qui dure plus de trois minutes, la caméra suit obstinément la marée d’habitants de Freetown dans leur course folle. Tous les dégâts matériels avec explosions à répétition des voitures et d’immeubles, ainsi que de nombreuses pertes en vie humaine, sont systématiquement montrés à l’écran à l’aide d’un montage ultra-rapide. Ce qui augmente l’angoisse chez le spectateur qui se pose alors les questions suivantes, comment tout ceci vat-il se terminer ? Quand cela va-t-il s’arrêter ? S’agissant du destin des personnages centraux, qui va mourir dans cette attaque ? Qui ne mourra pas ? Une telle scène, qui rassemble un nombre exorbitant de figurants tous payés, sans oublier les accessoires coûteux tels que les mitraillettes et les véhicules militaires, n’est possible qu’avec des films ayant disposé d’une pompe financière. Par ailleurs, avec cette scène d’attaque et bien d’autres qui sont fertiles en suspense et hautement spectaculaires, il ne fait aucun doute que l’équipe de production de Blood Diamond a été fortement encouragée par la recherche du profit. En effet, porter à l’écran cette sorte de réalisme luxueux pour reprendre Howard Becker, n’est pas anodin, surtout à Hollywood. L’esthétique méga-budgétaire, qui se traduit à l’écran à travers des ressources expressives dispendieuses dans la mise en forme des scènes susmentionnées, ne peut pas être considérée comme une perte. La maximisation des dépenses est effectuée par l’équipe de production de Blood Diamond, dans l’intention de faire de gros bénéfices. À Hollywood, ceux qui produisent et diffusent des films, courent justement après le profit qui se pose et s’impose comme fondement. Anne-Marie Bidaud affirme à ce propos...La course aux recettes reste toujours le sport favori du milieu hollywoodien. Mais cette conception hollywoodienne n’est pas appréciée de tous. C’est la raison pour laquelle ce budget énorme, rassemblé par l’équipe de production de Blood Diamond, a effectivement fait l’objet de polémique à la sortie du film. C’est le cas de Thomas Sotinel, qui s’insurge contre le budget de production « obèse » de cette oeuvre. Le critique du journal Le Monde, voit en effet l’occasion pour Hollywood de se faire de l’argent sur les malheurs de la Sierra Leone. Il écrit alors…À première vue, la démarche est obscène surtout si l’on rapproche le budget du film et celui du PIB de la Sierra Leone : 100 millions de dollars pour faire exister Blood Diamond contre 700 millions de dollars de ressources pour les 3,5 millions d’habitants du petit pays d’Afrique de l’Ouest.

 

 

 

II.2 Le casting. Privilégier la star

 

C’est la raison pour laquelle au niveau du casting à Hollywood, l’accent est mis sur les comédiens très populaires, capables de faire gagner beaucoup d’argent au producteur en un temps relativement court. D’où ces propos de Claude Forest...Une fois le script achevé, il convient de mettre en place le casting qui permettra de maximiser les recettes potentielles, le choix des acteurs portant davantage vers ceux qui ″ouvrent″ mieux le film, c’est-à-dire ceux qui se montrent aptes à engranger dès le premier week-end le maximum de recettes. Dans le même sens, Joël Augros et Kira Kitsopanidou affirment…Pour les majors, la présence d’une vedette dans un type de rôle défini permet une plus grande prédictibilité des recettes. Aussi pour le rôle de trafiquant de diamant dans Blood Diamond, l’équipe de production a-t-elle retenu Leonardo Di Caprio. Ce dernier est l’un des acteurs les puissants d’Hollywood depuis le succès phénoménal de Titanic, comme le rappellent Christophe Ayad et Didier Peron…En effet, cette équipe de production savait que Leonardo Di Caprio est mondialement adoubé du public, et donc facilement « vendable ». Utiliser des stars reconnues à l’échelle internationale, fait aussi partie des stratégies mises en place par Hollywood, afin d’assurer le succès commercial de ses films. Nolwenn Mingant affirme à ce propos…Les majors privilégient également le choix des stars populaires sur le marché extérieur. En engageant Leonardo Di Caprio, l’équipe de production de Blood Diamond était très consciente qu’elle ne courait aucun risque, qu’elle n’investissait pas à perte. Au contraire, pour cette équipe de production, la présence de Leonardo Di Caprio venait neutraliser tout risque. Aussi n’a-t-elle pas hésité à lui offrir comme salaire, 20% du budget total de production du film Blood Diamond.

 

Sur les 100 millions de dollars réunis pour financer ce film, Leonardo Di Caprio a perçu 20 millions de dollars. Cette équipe de production qui a donc payé une telle somme à un comédien de la carrure de Leonardo Di Caprio, ne l’a aucunement fait par ignorance ou par erreur. Leonardo Di Caprio coûte cher, et tout producteur le sait. Mais il a la capacité de remplir la majorité des grandes salles de cinéma à travers le monde. Autrement dit, cet acteur peut facilement faire gagner à un producteur cinq fois la somme d’argent qui a été déboursée pour son cachet. C’est ce qu’a compris l’équipe de production de Blood Diamond. Et c’est aussi la raison pour laquelle les producteurs et les grands réalisateurs de ce monde s’arrachent Leonardo Di Caprio. Il est donc difficile, voire naïf de penser que c’est uniquement pour sensibiliser le monde contre le commerce illégal des diamants en provenance des pays en guerre, que Leonardo Di Caprio a été sollicité pour le tournage de Blood Diamond. Si c’était vraiment le cas, lui-même n’aurait pas accepté de percevoir la somme de 20 millions de dollars d’une part. Il pouvait aussi consentir à jouer à titre bénévole pour la cause humanitaire. Après tout, la gratuité n’est pas interdite à Hollywood, surtout lorsque c’est un comédien qui la pratique. D’autre part, l’équipe de production de Blood Diamond n’aurait pas cherché à tout prix à confier le rôle de trafiquant de diamant à un acteur de la dimension de Leonardo Di Caprio. Ledit rôle pouvait aussi très bien être confié à un comédien moins populaire, car à Hollywood, tous les acteurs ne sont pas des stars.

 

 

Toute industrie qui produit des biens, emploie un nombre plus ou moins important et diversifié de personnes. En tant qu’industrie, le cinéma fonctionne pareillement. En effet, au stade de la fabrication d’un film, plusieurs personnes détentrices de talents et de compétences professionnelles variés, sont mobilisées, afin d’avoir le produit final qui sera commercialisé. Pierre Gras qui liste presque toutes ces personnes, écrit…Trois catégories de personnes, outre les producteurs, sont au cœur de la fabrication d’un film, les auteurs, les techniciens salariés, les acteurs. Leur statut, leur mode de rémunération, leur rôle économique dans la filière sont bien différents. Mais, les différentes personnes sollicitées dans la fabrication d’un film, font au préalable l’objet d’un choix qui est justement l’une des préoccupations majeures de tout producteur. Ce dernier entend s’assurer qu’il possède dès le départ, des ressources humaines très fiables parmi la masse des talents disponibles. C’est ainsi que dans un cinéma essentiellement produit pour un profit maximal, un bon choix d’acteurs et d’actrices s’avère un bon allié. Dans un tel cinéma, il faut en tête d’affiche ou au générique du film, un acteur ou une actrice populaire sur les plans local et international, afin de remplir les salles. Ce type d’acteur ou d’actrice destiné à drainer les foules, prend le nom de vedette ou de star. Aussi Edgar Morin considère-t-il les stars comme des dieux et des déesses. L’auteur écrit à cet effet…Héroïsées, divinisées, les stars sont plus qu’objets d’admiration. Elles sont aussi sujets de culte. Un embryon de religion se constitue autour d’elles. Et l’intention du producteur, dans le cinéma commercial, est de sécuriser et de rentabiliser les fonds lorsqu’il engage une star. Françoise Benhamou est très claire là-dessus…Le culte des stars obéit à des logiques commerciales. René Bonnell ne pense pas autrement quand il écrit à son tour…Pour la majorité du public, la vedette joue un rôle important pour déclencher l’acte de consommation cinématographique.

 

C’est aussi la raison pour laquelle Edgar Morin tient la star pour une « marchandise ». Or, le destin de toute marchandise est d’être consommée par le plus grand nombre de personnes, et donc de générer des profits à son fabricant. L’auteur souligne…Cette marchandise totale a d’autres vertus, elle est la marchandise type du grand capitalisme avec les énormes investissements, les techniques industrielles de rationalisation et de standardisation du système font effectivement de la star une marchandise destinée à la consommation des masses. L’industrie cinématographique hollywoodienne n’a pas encore abandonné le phénomène de la star. Elle est même loin de le faire, car l’utilisation de l’acteur vedette dans un film à Hollywood, est quasiment un impératif. Autrement dit, il n’y a pas d’Hollywood sans système de vedettariat. Tant qu’Hollywood fabriquera des films, les stars seront sollicitées. C’est pourquoi Jean-Loup Bourget écrit…L’équation Hollywood égale star system est solidement établie. Puisque l’industrie cinématographique hollywoodienne repose entre les mains des hommes d’affaires préoccupés naturellement par la rentabilité, la star demeure un maillon indispensable, précisément parce qu’elle génère de grands profits à l’intérieur de ce milieu cinématographique. Anne-Marie Bidaud soutient…Les stars sont éminemment rentables. Ce sont elles qui font venir les spectateurs dans les salles de cinéma. Un grand nom au générique permet de susciter et de stabiliser la demande. La star est donc le pilier économique des studios hollywoodiens. À l’instar des millions de dollars qui sont mobilisés pour faire des films, la star constitue également un capital à Hollywood.

 

 

 

 

III. Conclusion.

 

Le film Blood Diamond n’a rien eu de fortuit dans sa mise en production. En effet, la maison de production Warner Bros a méticuleusement pensé ce film à tous les niveaux. Aussi cet article a-t-il été l’occasion de démontrer qu’à travers Blood Diamond qui est inspiré de la guerre civile sierraléonaise, Hollywood a fait un travail à la fois d’information et de conscientisation des spectateurs à travers le monde. Et grâce à la mise en scène très réaliste de la violence dans ce film, Blood Diamond a atteint son but. Ce côté édifiant du film a d’ailleurs été salué par la critique à sa sortie en salles. Il y a donc eu, à n’en point douter, une bonne part de l’engagement social et politique qui a animé l’équipe de production. Mais au-delà de l’aspect mémoriel, Hollywood n’a pas perdu de vue la question du profit qui gouverne ce milieu du cinéma basé aux États-Unis. En témoigne alors le choix de la fiction au détriment du documentaire en ce qui concerne la catégorie filmique. S’agissant de l’un des principaux rôles tenus dans ce film, il y a aussi la primauté de la star sur le comédien moins connu au niveau international. En s’engageant donc à donner la version cinématographique de ce malheur de la Sierra Leone, Hollywood a tout mis en oeuvre, non seulement pour stigmatiser cette guerre civile, mais aussi pour tirer un maximum de gains.