Ratatouille ! Pierre angulaire du cinéma d’animation du 21eme siècle ? Les plus dubitatifs avanceraient qu’il s’agit quand même du huitième long-métrage chez Pixar. Cet éventuel rappel démontre également que, dans les grands chantiers d’animation aux Etats-Unis, on a plutôt tendance à rattacher l’œuvre au studio qu’au réalisateur. Chaque studio possède, certes, un « style de fabrication » qui lui est propre. Pourtant, il faut admettre que Ratatouille porte moins la marque du studio à la lampe à coulisse que celle, inimitable, du grand maître de l’animation américaine : Brad Bird.


De prime abord, il semble impossible de construire un pont entre Les Indestructibles, mix aussi incroyable que sidérant de sitcom, de superhéros et de James Bond de l’âge d’or, et l’étrange histoire de Rémi le rat, petit dernier d’une tribu de videurs de poubelle, ne rêvant que de grande cuisine. Sur le papier uniquement. On retrouve dans Ratatouille ce tiraillement entre le désir quasi obsessionnel d’excellence triomphant de la médiocrité et l’attachement ambigu à la famille, à mi-chemin entre le refuge et la plaie. A la manière de Bob Parr alias Monsieur Indestructible, Rémi s’impose comme le représentant de cette exigence selon Bird, voire même comme le double du cinéaste. Et, avec, une intrigue tournant autour du bon goût culinaire et ancrée dans Paris, il ne pouvait pas tomber mieux, c’était même in ze pocket…Seulement voilà, comment faire partager l’idéal de saveurs exquises d’un muridé via un médium qui vous prive d’office de l’usage du nez et de la langue ? Comment tenir la cadence sans endormir les enfants, ou pire comme perdre parents et plus âgés dans des abîmes de niaiserie ? comment surtout lier le destin d’une salle de cinéma remplie à un animal gourmet considéré dans la réalité comme nuisible et plus gros transmetteur de maladies. À ces trois questions, la réponse est ahurissante de simplicité…En traçant sa route sans avoir l’air d’y toucher, soit Ratatouille, le résultat idéal de l’addition « l’écriture intransigeante de Bird » plus « savoir-faire Pixar ».
Dix minutes de pérégrinations campagnardes en ouverture suffisent pour que le miracle d’alchimie ait lieu avec Rémi l’esthète et Emile le cradingue déambulent dans une maison vétuste avant que le tromblon facile de la propriétaire ne sépare Rémi de sa horde au cours d’une retraite en catastrophe dans les égouts. Entre temps, les deux rongeurs sont filmés à hauteur du sol, la mise en scène extrêmement fluide ne les lâche pas d’une semelle pour mieux saisir l’extraordinaire gestuelle de leur corps et la vie ressortant de leur regard lorsque le score brillant de Michael Giacchino illustre les magnifiques feux d’artifices papillaires éprouvés par Rémi. Cette mise en bouche s’avère digne d’un plat de résistance de cinq étoiles mais Ratatouille n’en fait pas l’étalage et c’est sa discrétion, son humilité qui fait toute sa force. En témoigne l’impressionnante descente des égouts envoyant par le fond celle de Souris City sans frimer. Parce qu’ils étaient des surhommes, Les Indestructibles jouait l’efficacité maximum. Ratatouille traite lui aussi d’un marginal au sens large cherchant à trouver sa place en cuisine. Ce qui change tout. La sidération des premières images où Rémi évitait couteaux, hachoirs et autres feuilles de boucher dans la bande-annonce était pour le moins trompeuse. Ne subsistent que le prodigieux talent de Bird à mettre en scène l’exploration d’une surface et quelques morceaux de bravoure savamment orchestrés. Ce qui importe réellement ici, c’est le rapport de Rémi avec Linguini le commis aux poubelles et son système d’entraide à la Cyrano de Bergerac ; système remarquable car intégrant un paramètre imparable : si Rémi s’exprime naturellement avec ses pairs, s’il comprend parfaitement les humains, il n’en va pas de même pour ces derniers.
De ce postulat découle des gags visuels d’une magistrale drôlerie, à mi-chemin entre Charles Chaplin, Buster Keaton et Gromit dans lesquels cette adorable boule de poils fait preuve d’une expressivité des plus singulières, du nez à la queue en passant par le haussement d’épaules…Quoiqu’il fasse, il est irrésistible ! Plus surprenante par contre est son introduction…Au loin dans la pénombre d’une poubelle ressemblant à s’y méprendre à la menace de La Belle et le clochard. Comme si Bird fusionnait deux âges d’or de l’animation, celui du Disney triomphant dans les fifties (la période préférée du réalisateur) et le sien de contemporain pour en retirer le meilleur, les fleurons esthétiques du premier avec la profondeur psychologique accrue du second. Ainsi, Bird déroute en refusant certains codes narratifs de l’animation grand public pour en introduire d’assez peu communs (la folie douce de Rémi avec Gusteau et l’insaisissable critique Anton Ego). Par là même, il entend démontrer qu’il est encore possible aujourd’hui de surprendre les plus blasés. Certains s’évertueront à penser avec dédain qu’il y a cinéma d’animation et cinéma. Brad Bird n’a jamais pu supporter cette frontière. Face à Ratatouille, on comprend d’autant mieux sa colère tant la somme monumentale de ses qualités souterraines (comprendre émotionnelles et cérébrales) peut écraser d’une pichenette certains live action. En un sens, son dernier-né dépasse Monstres & cie, peut-être le plus émouvant de l’écurie Pixar parce qu’il parvient comme rarement à, non pas imiter la vie, mais à ÊTRE plus que jamais un monde en vie dans lequel une succession d’états et d’émotions ne s’achève jamais réellement… jusqu’à avoir son existence propre en imprimant durablement son empreinte dans notre mémoire. C’est le propre des grands films ou des grands festins, celui qui nous donne envie de nous asseoir à nouveau à une bonne table ou une salle dotée d’une programmation alléchante. Dans les deux cas, on prononce un très sincère « merci » ! Julien Foussereau


L’art de la gastronomie à la française…

De l’appétissante omelette à l’onctueuse soupe et la fameuse ratatouille, le film Disney Pixar nous met l’eau à la bouche. Malgré les design de personnages aux traits exagérés, les studios sont devenus de véritables virtuoses dans l’art de représenter le réel à l’aide d’un ordinateur. Pour rendre encore plus réalistes les recettes de Remy et du restaurant du chef Gusteau, Disney Pixar a travaillé en deux temps…Les plats ont été cuisinés par des chefs, présentés dans une assiette puis pris en photo à la manière des magazines de cuisine. Les animateurs se sont ensuite chargés de les reproduire par ordinateur. De la brillance du saumon à la fraîcheur de la garniture et plusieurs membres de l’équipe technique ont suivi des cours de cuisine pour être au plus près de la haute gastronomie.
Si les Français s’enorgueillissent autant de leur cuisine, c’est bien parce qu’elle est délicieuse et rayonne à travers le monde. Mais n’est pas un chef français qui veut ! Pour s’imprégner de l’ambiance bouillante des cuisines, de l’art culinaire de l’hexagone et des codes précis appliqués dans les établissements renommés, le producteur de Ratatouille Brad Lewis s’est immergé dans plusieurs restaurants étoilés. Hiérarchie, postes, langage, uniformes, gestion du rush…Le producteur a eu un aperçu de ce que peuvent vivre les commis, cuisiniers et chefs, du moment où ils enfilent leur toque à la dernière assiette lavée après le service. Dans son petit tour des établissements, le producteur s’est rendu au Procope, à la Tour d’Argent, chez Taillevent, chez Michel et chez Hélène Darroze. Quelques petits détails n’ont pas échappé à Brad Lewis et ont bien terminé dans le film pour le rendre encore plus authentique. C’est le cas par exemple de la brûlure au poignet de Colette, une blessure très commune chez les cuisiniers.
Des personnages inspirés de vrais cuisiniers…

Les studios Disney nous ont habitués à toutes sortes de personnages mais se sont rarement intéressés à la vraie vie. Certes, Ratatouille met en scène un petit rat gourmet promis à une grande carrière dans la gastronomie, mais son environnement n’a rien d’irréaliste. Les humains créés par les scénaristes pourraient tout à fait vous cuisiner la prochaine entrecôte que vous commanderez au restaurant. Les auteurs Brad Bird, Jan Pikava et Jim Capobianco se sont inspirés de véritables cuisiniers pour créer leurs personnages. C’est le cas de la talentueuse et intraitable Colette, inspirée de la célèbre chef Hélène Darroze et bien sûr, du sympathique chef Auguste Gusteau, un savant mélange entre Bernard Loiseau et Paul Bocuse. Quant à son prénom, il est un hommage direct à Auguste Escoffier, le grand patron des chefs cuisiniers. En France, deux stars de la cuisine ont été invitées à poser leurs voix dans le film…Cyril Lignac et Guy Savoy. Le personnage sinistre du critique gastronomique Anton Ego a été inspiré de l’apparence du comédien français Louis Jouvet.
Le parler français…

Lorsque Disney se lance dans un projet, le studio met les petits plats dans les grands. Pour toujours plus de réalisme, les animateurs ont réalisé un énorme travail sur la diction et l’articulation des personnages. Dans Ratatouille, les protagonistes sont français et donc, leur façon de parler bien différente des anglophones. Pour retranscrire à la perfection cette façon unique de communiquer, les artistes Pixar ont visionné des heures et des heures de vidéos de célébrités comme Brigitte Bardot, Serge Gainsbourg en encore Charles de Gaulle.

Ratatouille en chiffres…
4500…C’est le nombre de clichés pris par l’équipe Pixar lors de son voyage d’étude à Paris. La directrice de la photographie, Sharon Calahan, a été particulièrement séduite par le romantisme et la douceur des journées automnales parisiennes et a voulu reproduire cette ambiance particulière dans Ratatouille.
190…Même si le personnage principal est un petit rat, le département des costumes a créé un peu moins de deux cents costumes pour les autres protagonistes. Le vestiaire de Ratatouille est l’un des plus fournis et des plus complexes jamais réalisé pour un film de synthèse.
270…Ce sont le nombre de plats réalisés en cuisine puis photographiés pour inspirer les animateurs du film.
30 000 et pas un de plus ! Les animateurs du film ont dessiné et mis en mouvement trente mille poils sur le corps de Remy. Et même si ce chiffre paraît titanesque, il n’est rien comparé à la véritable fourrure d’un rat qui en possède environ cinq cent mille.
623 millions…et des poussières. C’est le total des recettes du box-office international pour Ratatouille, le classant à la troisième place des plus gros succès Pixar après Le Monde de Nemo et Les Indestructibles.
3….Récompenses majeures pour Ratatouille.
200 millions…C’est l’investissement total nécessaire pour que l’attraction tirée du film L’Aventure totalement toquée de Remy voit le jour dans le parc Walt Disney Studios à Disneyland Paris. Sa construction aura également mobilisé quatre mille personnes. Elle sera prochainement dupliquée dans le parc Epcot à Walt Disney World en Floride.




La recette cachée de « Ratatouille »
Par Jean-Claude Ribaut
En argot militaire, le rata n’est pas seulement un mauvais ragoût, il peut encore être touillé (mélangé) à loisir. Pour les Niçois, la ratatouille est au contraire une délicate préparation de légumes revenus à l’huile d’olive. Ratatouille est aussi le titre du dernier film d’animation des studios Disney-Pixar. C’est une comédie magique du « temps que les bêtes parlaient » qui met l’accent sur l’opposition entre ville et champs, entre nature et culture, hommes et animaux, dans un contexte narratif consacré à la restauration et à la gastronomie. L’histoire, vue par les Américains, se passe à Paris, capitale mondiale du goût, ce qui n’est pas le moindre paradoxe de ce film. Elle s’inspire autant de la fable Le Rat de ville et le Rat des champs, du bon La Fontaine, que du Joueur de flûte de Grimm, conte cruel où le musicien n’est autre qu’un dératiseur, dans la petite ville de Hamelin, en Basse-Saxe (Allemagne). L’histoire débute à la campagne, endroit peu agréable où le héros du film, Rémi, le raton craquant doué pour la cuisine, peine à se nourrir, avec sa famille. La nature est polluée, la calme verdure presque sinistre. La civilisation, qui apparaît sous les traits d’une mégère hystérique, sorte de Ma Dalton qui manie la mort aux rats (pesticide) et la carabine avec une égale énergie, est bien l’ennemie de la nature. Le raton gourmand et charmeur émigre bientôt avec tous les siens en ville, comme une tribu affamée du tiers-monde, en empruntant la rivière, qui débouche est-ce un hasard ? sur l’égout, cloaca maxima de la capitale séquanaise. Du naufrage, Rémi réussit à sauver le livre de recettes du grand cuisinier Auguste Gusteau, dans lequel il a appris à lire. Son titre, Tout le monde peut cuisiner, ouvre au jeune rongeur l’espoir insensé d’être un jour le successeur de son mentor. La gastronomie, caractère reconnu du génie national français, est incarnée ici par le bonhomme Gusteau, fantôme rigolard et obèse, qui vient hanter son ancien restaurant au décor vaguement inspiré de la salle à manger ovale du Bristol.
A l’exception de Paris, véritable protagoniste de l’histoire, toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant existé comme Bernard Loiseau, grand chef qui mit fin à ses jours en 2003 étant nécessairement fortuite, l’on ne s’attardera pas sur le fait que le chef Gusteau est mort parce qu’il avait perdu une étoile. Pas plus qu’on ne soulignera que son prénom (Auguste) est aussi celui de l’illustre Escoffier (1846-1935). On ne s’étendra pas davantage sur un épisode de la vie amoureuse de Paul Bocuse, comme modèle de Gusteau, dont la filiation est établie dans le film par un test ADN. L’autre héros du film n’est autre que ce fils de Gusteau, l’innocent Linguini, né au hasard des amours ancillaires de son père et d’une serveuse de passage. Le message est clair, la cuisine est une passion, et Cupidon y règne en maître. Hélène Darroze, consultée par la production du film, l’avait laissé entendre déjà, dans Personne ne me volera ce que j’ai dansé, ouvrage très personnel qui mêlait recettes et récit de passions fulgurantes. Faut-il voir dans le portrait d’Anton Ego, personnage de critique culinaire plus enclin à commenter ses aigreurs d’estomac que son plaisir, autre chose qu’une caricature générique ? Les cuisiniers apprécieront. La brigade où est tombé le raton gourmand et sensible est un enfer. La plupart de ses membres sont des tricheurs, des robots obtus, rivés à une pratique esclavagiste, contraignante et machiste sous l’autorité d’une sorte de Speedy Gonzalès, successeur de Gusteau. La cuisine officielle est caricaturée dans l’imagerie du grand restaurant, entreprise pléthorique et mensongère, au service des magnats de l’agro-alimentaire. Le bon produit, s’il existe encore, est surpayé avec pot-de-vin versé à un intermédiaire très franchouillard. Erreur, c’est en sens inverse que, parfois, les enveloppes circulent. Les rats qui dominent la scène sont tout aussi ambivalents. Innocents dans leur être naturel, ils sont pestiférés et traités comme tels par Pompidou, l’agent des services d’hygiène. Ce trait narratif renforce l’idée qu’aujourd’hui nature et civilisation sont en guerre, et que seul l’humour critique sauve la partie. Le critique gastronomique est hilarant, son aspect trompeur, son pouvoir surfait. Anton Ego est cependant maître de vérité, comme un sophiste athénien. Il décèle le vrai, à la faveur d’une simple ratatouille qui lui rappelle celle de son enfance. L’innovation en cuisine, c’est le pur retour aux racines, celles de l’enfance privilégiée, rurale et traditionnelle. Attention, ce trait consolateur est peut-être une farce, une ultime pirouette de Brad Bird, auteur du film. Quel frisson d’allégresse cependant à voir le critique, soudain en culotte courte, manger son « rata » avec délice. Le trait est percutant.
La gastronomie est un rêve utopique qui suppose un acte culinaire sincère, seul capable de sauver l’inspiration, c’est-à-dire le rapport singulier et goûteux que nous entretenons avec la nature. Tout le monde peut cuisiner, même les rats qui prennent possession de la brigade en un bien étrange sabbat. Ne boudons pas notre plaisir, allons déguster Ratatouille.
