1991-Métaphore…

Jodie Foster n’aurait jamais adressé la parole à son partenaire de jeu, Anthony Hopkins, durant le tournage du film….“Il faisait peur, le premier jour, on a eu une lecture du scénario et à la fin je ne voulais plus jamais lui reparler, j’étais pétrifiée ! Je l’évitais. c’était le dernier jour de tournage et il est venu me voir et je lui ai avoué que j’avais vraiment peur de luiAnthony Hopkins a reçu l’Oscar du Meilleur acteur en 1992, alors même qu’il n’apparaît que 25 minutes à l’écran.

 

 

 

 

 

HANNIBAL LECTER…

 

Tout a commencé pendant mon adolescence lorsque j’ai vu pour la première fois Le Silence des agneaux. Comprenez bien, j’étais jeune et soudainement fascinée par Hannibal Lecter, ou comme on le surnomme affectueusement « Hannibal le cannibale ». La première rencontre se joue dans l’attente, sa réputation le précède, et arrive enfin le moment de la visite. Clarice, la jeune agent en formation du FBI choisie par Jack Crawford qui dirige l’institut des behavorial sciences, descend sous terre, Persephone des temps modernes, puis longe le mur du couloir. La musique, pesante, n’est interrompue que par les quelques mots que lui adressent les autres prisonniers de l’hôpital psychiatrique dans lequel se trouve Lecter. Toute cette tension culmine lorsque la caméra le révèle enfin qui l’attend, qui nous attend, debout, silencieux, puis…« Good morning ». Quel calme, quelle retenue, et cette invitation à s’approcher. Gros plans sur les deux visages qui se voient enfin, et voilà la moquerie qui arrive, accompagnée d’un clin d’œil, mais d’un ton joueur. Voyez-vous, docteur, Hannibal Lecter n’est pas un vulgaire criminel, comme les autres qui ont accosté et insulté Clarice. Il est psychiatre, ou l’était du moins. Il est cultivé, il aime la musique italienne, et l’art, et les bons vins, il est fin et intelligent, plein d’humour, charismatique et ? Cannibale, me dites-vous ? Ma foi, tout le monde a ses petits défauts. Je vois que vous prenez des notes, qu’ai-je donc dit ? Anthony Hopkins n’a pas le charme déroutant de Mads Mikkelsen qui élève chaque meurtre en tableau artistique, mais il est conjuré à l’esprit de n’importe qui si l’on parle Hannibal.

 

Si le film est une chasse à l’homme, le serial killer « Buffalo Bill » qui tue des jeunes femmes pour leur peau, il est surtout un jeu de chat et souris entre les deux protagonistes. Lecter peut bien mettre fin à leur première rencontre en lui rappelant ce qu’il est arrivé à la dernière personne qui a essayé de le questionner contre sa volonté, et refuser de lui répondre d’avantage, il lui offre une serviette pour se sécher lorsqu’elle revient après avoir découvert une tête d’homme dans un garage. N’y a-t-il pas là quelque chose d’attirant, docteur, à être courtisée par un homme aussi dangereux que Lecter ? Clarice l’intéresse après des années d’ennui, elle est peut-être fascinée par lui, et revient encore et encore, mais le chat a autant besoin de la souris que cette dernière de lui. Dans le noir, avec une succession de champ/contre-champ de plans rapprochés sur nos deux protagonistes, dans l’intimité de cette obscurité, il lui avoue avoir tué Miggs, son voisin de cellule qui s’était masturbé devant Clarice. Il a même été puni pour cela et lorsque Clarice s’apprête à répondre, le gardien allume les lumières, les rappelant au monde réel, et nous tirant de cet échange. Parlait-il vraiment de Crawford avant en suggérant qu’il l’avait prise son aile, par intérêt sexuel ? Et même, dans ce cas, s’offre un choix classiquement manichéen mais combien moral et attirant…Va-t-elle succomber à la tentation du mal dans les bras du chaotique Dr. Lecter, ou se ranger avec son supérieur, dans l’ordre du bureau et la sûreté d’une carrière ? Bien sûr qu’elle va triompher, nous sommes au cinéma, la question n’est pas là. La question est de savoir comment elle va capturer Bill et comment elle va être transformée par son expérience. C’est ce à quoi rêve secrètement toute jeune femme, non ? D’être mangée toute crue, ou cuisinée, par des hommes plus âgés ? En fiction cinématique, bien sûr. Pourquoi ? Pourquoi les tueurs, ma foi, tuent ? Pourquoi Bill kidnappe-t-il, torture-t-il, et tue-t-il ces femmes pour essayer de se faire « un costume de femme ». La réponse est évidente, bien sûr, parce que ce sont des hommes, et qu’ils peuvent. Comment ça mauvaise réponse ? Et voilà, comme Lecter, toute une liste de raisons, d’explications, de psychanalyses et autres possibilités qui sont énoncées par ces gens. Vous voyez, le charme fonctionne un moment. Des années après, une vie après si je peux me permettre en parlant d’expériences personnelles, Le Silence des agneaux est toujours aussi glaçant, effectif et fascinant mais je détiens à présent la clef du mystère. Hannibal Lecter est bel et bien un vulgaire criminel, un tueur en série, un cannibale attiré par la peur qui émane de la jeune Clarice, obligée de se dénuder, si ce n’est physiquement, mais psychologiquement en échange d’informations.

 

De même, la sénatrice, dont la fille risque d’être la dernière victime en date de Buffalo Bill, ne l’apitoie guère, il s’en moque, et en même temps, humilie Chilton, le psychiatre en charge de l’hôpital. Tout ce film est bien un jeu de chat et de souris, de rapports de force, mais impossible de le lire correctement si vous ne comprenez pas qu’il s’agit de relations de genre. Clarice n’est pas courtisée par Lecter, elle est menacée. Manipulée. De même qu’elle est forcée de jouer à la féminité en lui rendant visite. De même qu’on lui rappelle sans cesse qu’elle est une jeune femme, tous ces plans de semi-ensemble, pensez à celui de l’enterrement, nous la montre encerclée par des hommes. Petite et menue souris qu’est Jodie Foster dans ce monde brutal et sanguinolent. Brebis qui retourne dans son enclos pour se faire massacrer. Sauf que. Clarice dégaine son arme et tue Buffalo Bill, dans le noir, sauve Catherine, la victime qui vivra, et devient une agent du FBI à part entière, sans succomber à la tentation du mâle, et sans plus qu’une poignée de main avec Crawford. Elle participe peut-être à ce monde masculin, mais joue avec ses propres règles, quitte à les retourner contre lui…Quelle colère froide, mais quelle fierté aussi, dans le voix d’Hannibal lorsqu’il comprend qu’elle l’a manipulé à son tour. Cette violence des propos, et narrative, à faire du personnage queer le psychopathe tueur de jeunes femmes démontre bien le règne de l’ordre (hétérosexuel et normatif) dans lequel évolue Clarice, et dans lequel a été produit l’œuvre qui s’éloigne ici, bien volontairement, du souci de réalisme auquel elle prétend. Il plane néanmoins toujours à l’horizon, comme Lecter à la fin du film, qui l’appelle pour lui dire adieu, ou plutôt « viens me chercher »…Quelle angoisse et quelle peur, d’être toujours observée et jugée à chacun de nos mouvements.

 

Je crois que les agneaux ont arrêté de crier, nous pouvons nous séparer…

 

 

 

 

 

DEUX FILMS POUR L’HISTOIRE…

 

Décédé à 76 ans en 2017 après 40 ans de carrière,  Jonathan Demme restera le réalisateur de deux grands films dans l’histoire du cinéma américain et sur deux ans en 1991 et 1993. Mise en en scène brillante du thriller horrifique désormais culte Le Silence des agneaux, adaptation cinématographique d’un roman de Thomas Harris, sacré par l’obtention des 5 Oscars majeurs de la compétition…Meilleur Film / Meilleur Acteur / Meilleure Actrice / Meilleur Réalisateur / Meilleur Scénario, rejoignant ainsi New-York Miami de Frank Capra et Vol au-dessus d’un Nid de Coucou de Milos Forman à ce rang très prestigieux. Le deuxième Philadelphia est le ,premier film venant d’Hollywood qui traite du sida, de l’homosexualité et de l’homophobie. Tom Hanks gagne son premier Oscar du meilleur acteur, alors que le titre de Bruce Springsteen, Streets of Philadelphia, reçoit l’Oscar de la meilleure chanson originale en 1994.

 

 

 

 

 

 

L’INCONSCIENT COLLECTIF…

 

Le Silence des Agneaux est le film d’Hannibal Lecter. C’est lui la « star » du film, l’attraction phare, notamment dû à la performance hallucinante d’Anthony Hopkins qui obtiendra un Oscar du Meilleur Acteur pour seulement 16 minutes de temps d’écran, la plus courte performance d’un comédien pour ce prix. Il représente la bestialité la plus sauvage de l’humanité, tout en gardant cette intelligence et cette capacité de manipulation absolument terrifiante. Ce n’est pas pour rien qu’il est souvent cité dans les tops des meilleurs antagonistes de l’histoire du cinéma, tant il représente une menace constante, rassemblant en un seul personnage le pire de l’humanité comme ce qu’elle peut avoir de plus brillante. Mais penser que Le Silence des Agneaux est son film serait passer complètement à côté des thématiques principales du long-métrage, qui est avant tout l’histoire d’une femme dans un milieu extrêmement patriarcal. Clarice est littéralement le cœur du film, s’échappant au fur et à mesure du récit de ce statut de la nouvelle recrue enfermée dans un système très masculin comme le montre ce plan culte de l’ascenseur, où l’on aperçoit la jeune femme au milieu d’hommes plus grands qu’elle habillés tous d’une couleur vive, la dominant littéralement. Et c’est cette confrontation entre elle et Lecter qui créera la base de cette transformation, offrant à Clarice la possibilité de sonder les bas-fonds les plus terribles de l’humanité pour faire encore plus sortir son humanité à elle. Car la très précise mise en scène de Jonathan Demme nous fait alors comprendre au fur et à mesure de l’intrigue que c’est elle, la seule figure d’humanité pure du film. Elle est la seule à ressentir des émotions fortes, ce qui la différencie très fortement des personnages enfermés dans leur bestialité ou leur indifférence. C’est en ça que Hannibal Lecter se montrera fascinée par cette jeune femme, formellement différente des autres agents du FBI qu’il a rencontré par le passé.

 

Mais au-delà de ces thématiques déjà très modernes pour l’époque, c’est la réalisation de Jonathan Demme qui offre au film cette place de chef-d’œuvre du genre. Le metteur en scène monte un long-métrage d’une puissance dérangeante et oppressante, qui joue avec les zones les plus sombres de l’humanité. En s’intéressant à ses tueurs en série et autre malades mentaux, Demme questionne la société et les monstres qu’elle crée. Et le film propose son véritable antagoniste avec la figure de Buffalo Bill, que le récit creusera fortement dans certaines scènes centrales. Mais même si ce personnage représente une des nombreuses images clés qui nous restent en tête après le visionnage du film (sa scène de danse devant le miroir est d’une grande puissance, autant au niveau du jeu de Ted Levine qu’au niveau de sa mise en scène), toute cette intrigue policière sert surtout à explorer cette relation complexe qu’entretiennent Starling et Lecter, formant les deux faces d’une même pièce, chacun étant comme le Némésis de l’autre. Et cette notion de dualité se joue beaucoup dans l’utilisation omniprésente du gros plan regard caméra dans le film. En enchaînant un champ/contre-champ entre Clarice et Hannibal avec ces deux gros plans fixant le spectateur, Demme provoque à la fois l’inconfort et l’identification à la jeune recrue du FBI. C’est sur elle que le public fixe son point de vue, plongeant avec elle vers les Enfers. On retrouvera tout au long du film ces regards pesants sur elle, tous de la part d’hommes, dont elle s’affranchira au fur et à mesure de l’intrigue pour sortir littéralement de sa chrysalide et enfin devenir un papillon en abattant cette barrière entre les sexes.

 

 

 

 

En ça, Clarice Starling se pose comme une icône féministe de luxe, étant représentée comme le seul personnage intelligent et humain du film. Cette place est aussi due à la performance mémorable de Jodie Foster, qui signe à n’en pas douter son meilleur rôle au cinéma, arrivant plus qu’aisément à maintenir le film et le regard/intérêt du spectateur sur son personnage malgré la présence du terrifiant Anthony Hopkins, qui livre l’incarnation la plus magnétique, la plus complexe et la plus sombre du psychiatre cannibale Hannibal Lecter. A noter aussi la présence de Ted Levine en Buffalo Bill, qui s’empare d’un rôle plus que complexe de part les nombreuses thématiques qu’il aborde tout au long du récit en le rendant éminemment cinématographique, offrant un tueur en série de luxe à un film qui possédait déjà un Hannibal Lecter d’anthologie. De cette façon, Le Silence des Agneaux réussit encore après 30 ans d’existence à provoquer des émotions et des frissons d’une force démentielle, sondant les aspects les plus bestiaux d’une humanité décadente. Seuls la pureté d’esprit et l’intelligence de Clarice pourront sauver la donne, confiant à ce film une thématique féministe qui se fait complètement moderne. Jonathan Demme maîtrise son long-métrage de bout en bout, lui donnant une atmosphère oppressante et à couper le souffle dans des scènes d’une tension étouffante. Le Silence des Agneaux créée des symboles, des icônes, des visuels et des répliques qui n’ont pas tardé à rentrer dans l’inconscient collectif, et se positionne toujours comme un modèle absolu du thriller psychologique pour son approche extrêmement précise de la figure du tueur en série. Demme a signé un chef-d’œuvre qui sert encore aujourd’hui de leçon aux plus grands cinéastes du genre.

 

 

 

 

 

 

JODIE FOSTER

 

 

Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas vraiment ce qu’était le métier d’actrice. Je pensais que c’était un peu un métier d’idiot. J’avais l’impression que la seule chose à faire était de lire des lignes que quelqu’un d’autre avait écrites, juste de les lire assez naturellement. C’est tout. Jusqu’à l’âge de douze ans, l’âge où j’ai rencontré Robert De Niro pour Taxi Driver, c’était comme ça….Lorsque Robert a décidé de s’occuper de moi, de me prendre sous son aile, j’ai compris qu’être comédienne était quelque chose de complètement différent. J’ai compris qu’il fallait construire un personnage. Quand j’étais jeune. On me donnait juste des indications très simples comme « Sois plus heureuse » ou « Parle plus vite » ! C’est vraiment en travaillant avec Robert De Niro que j’ai compris ce qu’était le métier d’actrice. 

 

 

 

 

Sur sa cinquantaine de films comme actrice, je retiens 6 films sur 50 ans de présence sur les écrans.  Le premier à ses 12 ans va profondément orienter sa carrière et sa vie. A la lecture de sa filmographie je pensais trouver plus de film marquants, mais sa présence et son jeu d’actrice dans les deux films pour ses deux oscars de meilleur comédienne confirme son immense talent et souligne la difficulté de faire les bons choix.

 

L’unique film comme réalisatrice qui mérite notre attention