1987-Money…Money…

En passant de manière si surprenante, en l’espace d’un an (1986-1987), de Platoon à Wall Street, de la jungle boueuse au quartier d’affaires survolté, Oliver Stone prouve de manière définitive qu’il est un auteur complet. Quel que soit le lieu, quelle que soit l’époque, il impose son univers patriarcal tourmenté, ses personnages extrémistes qui se brûlent les ailes, sa vision violente des rapports humains. Tous les films du cinéaste, sont des films d’hommes, avec un récit initiatique où le fils doit apprendre, douloureusement, à marcher sur les traces du père. Histoire universelle et immémoriale, celle du passage à l’âge adulte, avec cette question primordiale : que faisons-nous du monde légué par nos anciens ? L’acceptons-nous ou le rejetons-nous ?…

 

 

 

SES MIROIRS, SES FRÈRES…

 

…Double autobiographique d’Oliver Stone, le héros de Platoon, Chris Taylor/Charlie Sheen, plongeait volontairement, presque servilement, dans une guerre créée par les pères, au nom de l’anticommunisme dans la guerre du Vietnam. Ces pères vénérés avaient fait la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait pour les fils de se mesurer à eux et de prouver leur valeur. Rite primitif, stupide et cruel qui fut pour Stone un traumatisme, en même temps qu’un réveil de conscience, et qui décida de sa carrière d’artiste. Le héros de Wall Street, Bud Fox, toujours incarné par Charlie Sheen par souci de cohérence et pour que le message pacifique de Stone soit clair, plonge tout aussi volontairement dans un autre type de guerre carnassière, celle des marchés financiers de New York, où les traders agressifs s’arrachent les parts d’entreprises montantes ou coulantes pour ensuite les revendre à bon prix, décidant ainsi du sort de millions d’employés à travers le monde. Certains traders comme Gordon Gekko/Michael Douglas deviennent milliardaires à ce jeu spéculatif, jeu qui n’est, ni plus ni moins, que celui des parieurs dans les combats de coqs, et c’est bien cette idée de butin et cette idée de combat féroce qui attirent le jeune guerrier.

 

En 1987, les critiques ont tout de suite noté le grand point commun entre Platoon et Wall Street avec le tiraillement du fils entre deux pères tout aussi compétents et séduisants, l’un étant humaniste, l’autre cruel…Willem Dafoe/Tom Berenger d’un côté, Martin Sheen/Michael Douglas de l’autre. Cette dualité peut sembler schématique mais elle fonctionne au contraire admirablement grâce au jeu puissant des quatre acteurs susnommés, grâce à la fluidité de la progression dramatique, le jeune observe intelligemment le jeu des anciens et avance résolument de case en case, grâce aussi à la véracité, à la crudité des dialogues le point fort de Stone depuis toujours, celui-ci étant un véritable orfèvre en matière de punchlines vulgaires et/ou politiques, rappelons-nous les incroyables sentences de Tony Montana/Al Pacino ou de Stanley White/Mickey Rourke ! La dualité Martin Sheen/Michael Douglas est d’autant plus réaliste qu’elle est tout simplement celle de la politique…A un moment donné, toute personne ne doit-elle pas choisir entre une vision de gauche et son partage collectif et une vision de droite, la réussite individuelle, ce que représentent respectivement ici Sheen et Douglas ?

 

 

 

 

 

 

Dans Wall Street, cette dualité « schématique » est encore plus tempérée par la sympathie que dégage Gekko dont ne bénéficiait pas Tom Berenger dans Platoon. C’est un requin de la finance mais il est montré comme un père aimant, un homme dynamique et bon chef d’équipe, un entrepreneur qui n’a pas oublié ses origines modestes et qui prend sa revanche sur les WASP hypocrites, symbolisés ici par le milliardaire britannique Larry Wildman/Terence Stamp. Le film ne se contente pas de cette rivalité entre Sheen et Douglas mais présente d’autres figures paternelles troublantes…Lynch/James Karen, le patron conformiste et opportuniste de Bud. Dan/Franklin Cover, vieux trader au bout du rouleau, dépassé par la nouvelle génération et par l’informatique, bientôt licencié pour « manque de rendement » et surtout Lou Mannheim/Hal Holbrook, trader Républicain old school, vieux sage sentencieux critiquant ouvertement la voracité des jeunes loups, reflet du propre père de Stone. Si bien que, dans l’optique balzacienne de l’auteur, Bud Fox/Rastignac apparaît véritablement comme un héros en perdition, oscillant entre plusieurs destins possibles, entre plusieurs visions ou miroirs de son avenir.

 

 

 

 

 

 

Cette oscillation entre plusieurs surfaces miroitantes est la clé formelle du film, collant constamment aux mouvements incessants de Bud, la fluide caméra de Stone et ses travellings et filages se faufilant entre les obstacles traduisent non seulement l’agressivité, le stress des traders dans ces étouffants open spaces, mais elle donne aussi et surtout l’impression d’un va-et-vient stérile, celui de poissons dans leur aquarium, plus précisément de poissons-combattants ou rumble fishes. Ces « prisonniers » butent contre les parois de verre des bureaux et des buildings. Et contre eux-mêmes. Oppression incessante. Dès le départ en effet, Bud étouffe dans les transports en commun, il étouffe dans l’ascenseur qui le mène au bureau, il étouffe dans son agence surpeuplée, il étouffe dans son petit appartement new-yorkais, il étouffe dans l’atelier mécanique où travaille son père…Son but est donc d’avoir un gigantesque bureau avec baie vitrée, comme le requin Gekko, ou un gigantesque loft avec vue sur Manhattan, avec l’envoûtante sirène qui va avec Daryl Hannah. Ironie du sort, une fois qu’il a atteint ses objectifs, il étouffe à nouveau, mais cette fois moralement, ayant obtenu ces avantages par malhonnêteté, en jetant en pâture la compagnie aérienne où travaille son père. Lorsque Bud découvre pour la première fois le bureau grandiose de Gekko et admire la vue sur les buildings dorés de Manhattan, il oublie que cette couleur dorée est celle du crépuscule, que cette couleur annonce la nuit et c’est dans la nuit, sur le balcon de son loft luxueux, face au vide et au noir de l’abîme, que Bud semble se « réveiller »…Il s’interroge alors lucidement, amèrement, soudain conscient de l’absurdité et de la fausseté de sa nouvelle existence, voire du système entier…« Mais qui je suis ?… » De fait, l’artificielle inflation des années Reagan, que dénonce le cinéaste, va provoquer un nouvel effondrement boursier en octobre 1987, quelques semaines avant la sortie du film. Ce krach de Wall Street ne sera ni le premier, ni le dernier…

 

 

 

 

OLIVER STONE 

 

L’ambivalence et la complexité de son cinéma viennent de ce qu’il ne peut s’empêcher d’aimer ces guerriers pathétiques, ayant été l’un des leurs autrefois. En réalité, comme tout grand dramaturge, Oliver Stone aime généreusement tous ses personnages, qu’ils soient lucides ou aveugles. Il les comprend et il les pardonne. Ce sont ses miroirs, ce sont ses frères.

 

 

 

LE PRIX A PAYER

 

Qu’est ce qu’une bulle? En terme économique, c’est une hausse des cours due à la spéculation. Une image qu’on accole fréquemment à Wall Street, avec son siège boursier le plus imposant au monde. Mais si le terme est omniprésent dans le film éponyme d’Oliver Stone, c’est plutôt pour désigner un microcosme ancré dans le réel mais qui pourtant semble en être complètement étranger. Un endroit où le virtuel décide de l’avenir du concret. Un endroit où un écran d’ordinateur peut faire ou défaire une entreprise de milliers d’employés. Un endroit enfin où l’on prend des paris à coups de clics à plusieurs millions de dollars. Bref, une place qui n’était pas forcément destinée à Bud Fox, issu d’un milieu ouvrier, dont le but initial est de dégager suffisamment de profit à son employeur pour investir dans la recherche et le développement. Mais le quotidien difficile et onéreux rend sa tâche d’autant plus ardue du fait qu’il n’arrive pas à mettre la main sur de gros investisseurs. Jusqu’au jour où -à force de persévérance- il parvient à rencontrer le mythe Gordon Gekko, qui fait office de mètre étalon dans le domaine. À son contact, Fox fait une percée plus que décisive dans le monde de la finance…et surtout de l’espionnage industriel hautement lucratif. D’abord fortement réceptif à l’idée de s’élever au rang des maîtres flamboyants des affaires et d’engranger de juteuses commissions dans l’ombre, Fox va bientôt réaliser que tout cet argent facile à un coût. Fraîchement sorti de Platoon et des horreurs du Vietnam, Oliver Stone s’attaque à la Grosse Pomme et la boucherie du marché américain. Sans pour autant simplifier le jargon des « affaires » composant la bourse de Wall Street, le réalisateur parvient à le rendre intelligible en le plongeant dans une sorte de tragédie à l’ère capitaliste. Après avoir révélé Charlie Sheen au monde avec son précédent long, Stone enfonce le clou pour de bon en l’ayant recasté pour cette nouvelle œuvre. Sheen est aussi excellent ici qu’il ne l’était dans la jungle du Vietnam. Mais c’est indiscutablement Michael Douglas qui emporte tout le film en Gordon Gekko. Il est si prodigieux qu’on comprend très vite pourquoi son nom figure dans la liste des plus grands salopards vus sur grand écran. Daryl Hannah parvient également à donner chair et ambiguïté à son personnage de femme fatale. La bande originale de Stewart Copeland et Antônio Carlos Jobim accompagne brillamment l’intrigue du film. Un film souvent cité comme exemple mais rarement égalé. Seul Margin Call, dans un registre plus froid, semble être un digne héritier de Wall Street, grande réussite d’Oliver Stone.

 

 

 

 

FILMOGRAPHIE Très Sélective…

 

 

PREMIÈRE PÉRIODE 1974 – 1981 / Les premiers pas…

Premier long métrage à 28 ans / 7 ans plus tard un second film qui ne marque pas.

1979 – Oscar pour le scénario du film MIDNIGHT EXPRESS

 

DEUXIÈME PÉRIODE 1986 – 1987 / La plus forte !

En deux ans 3 films majeurs qui vont marquer.

SALVADOR à partir d’une histoire vraie.

WALL STREET dénonciation d’un capitalisme sauvage.

PLATOON Son vécu de jeune soldat au Vietnam. Oscar meilleur réalisation 1987. 

 

 

 

 

 

 

TROISIÈME PÉRIODE 1989 – 1991 / Sur la lancée…3 films en 3 ans…

NE UN 4 JUILLET Tom Cruise GI meurtri par le Vietnam – 2ème Oscar Meilleur réalisation.

THE DOORS Parcours de vie intense et court de Jim Morrison.

JFK. Enquête sur la mort du président Kennedy.

 

 

 

 

 

QUATRIÈME PÉRIODE 1994 – 1999 et après… / Une perte progressive…